Vente à perte de carburants : l'histoire d'une plantade politique
Alors qu'Elisabeth Borne avait annoncé que les distributeurs pourraient bientôt vendre leurs carburants à prix coûtant, l'opération pourrait ne jamais avoir lieu. Les représentants des grandes enseignes s'opposent à la démarche et la majorité présidentielle est divisée face à proposition de la Première ministre.
Majorité divisée, oppositions vent debout. La vente à perte des carburants, qu'Elisabeth Borne veut autoriser pour juguler la flambée des prix, est devenue une épine dans le pied de l'exécutif désireux de préserver le pouvoir d'achat des Français.
A l'offensive samedi, en annonçant que les distributeurs seraient temporairement autorisés à vendre l'essence "à perte" afin de leur permettre de "baisser davantage les prix", la Première ministre se retrouve sur la défensive. "Ca n'a pas l'air de marcher", résume sobrement un cadre de la majorité. "Face à l'inflation (...) chacun doit et peut faire un effort", a insisté mercredi le porte-parole du gouvernement Olivier Véran, en défendant la mesure malgré l'accueil négatif des distributeurs, grands et petits.
Dans l'entourage d'Elisabeth Borne, on confirme que la mesure est "maintenue" et que "des échanges constructifs se poursuivent" avec ces derniers "pour trouver des solutions au bénéfice des Français". Pourtant tour à tour, Carrefour, E.Leclerc, Intermarché, Système U ont annoncé ne pas avoir l'intention de recourir à cette possibilité, qui doit passer par une modification de la loi.
En outre, alors que le gouvernement avait fait miroiter une baisse du prix pouvant atteindre jusqu'à un demi-euro (47 centimes) le litre dans certains cas, cette estimation est rapidement apparue comme très exagérée.
"Il ne faut pas survendre la mesure" qui "permet d'aller gratter deux, trois, quatre centimes", tempère d'ailleurs une ministre.
"Impréparation"
"Nous utilisons tous les leviers possibles pour protéger les Français là où c'est possible", a assuré Olivier Véran. Le porte-parole a rejeté tout "procès en impuissance qui pourrait être fait à l'Etat" en défendant le bilan du gouvernement et les mesures prises.
Mais la majorité est divisée. "La vente à perte n'est jamais une solution" parce qu'"il y a toujours quelqu'un qui la paye", a estimé le patron du MoDem, François Bayrou, se refusant néanmoins à accabler le gouvernement.
"La Première ministre s'est vue poser un défi et a été un peu chahutée par des déclarations des grands distributeurs qui disaient: 'mais pourquoi nous empêchez-vous de descendre le prix des carburants ? Laissez-nous vendre à perte'", a expliqué l'allié d'Emmanuel Macron sur LCI.
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Chez Renaissance aussi, certains cadres ne cachent pas leurs réticences. "Si ce n'est pas possible, ce n'est pas possible", souffle, fataliste, un député. Un autre pointe "l'impréparation" du gouvernement et prédit un enterrement de la mesure car ses collègues de la majorité "sentent le vent tourner".
Mais quand la vente à perte n'était pas autorisée, les distributeurs "ils disaient 'ohlala on peut pas vendre à perte'", accuse une source gouvermentale.
"Diversion"
Seul consensus dans la majorité, la mesure présente l'intérêt de ne pas affecter les finances publiques alors que le gouvernement met un point d'honneur à présenter un budget 2024 contraint, pour contenir dette et déficit.
La rentrée s'annonce de fait "compliquée" relève une ministre. "On était dans un process d'aides fortes et l'inflation a été contenue (...) mais on a changé de paradigme, avec un budget plus responsable et plus dur". "Ce qui manque, c'est d'arriver à expliquer que les mesures s'ajoutent à d'autres" dans un pays qui "fait beaucoup plus" que ses voisins, avance un autre membre du gouvernement.
Il faut "montrer que l'alternative (de baisser les taxes, ndlr) est stupide" et coûte cher, suggère un autre. Les oppositions sont elles à l'offensive sur la hausse des prix, accusant l'exécutif de ne pas en faire assez pour protéger le pouvoir d'achat.
Le secrétaire national du PCF Fabien Roussel est allé jusqu'à appeler à "envahir" les préfectures, les grandes surfaces ou les stations-service pour que l'Etat "bouge". Ecologistes et socialistes demandent de "taxer les profits" des grands groupes, le patron du Parti socialiste Olivier Faure accusant le gouvernement de faire "diversion".
Droite et extrême droite réclament une baisse des taxes et le député et vice-président du Rassemblement national Sébastien Chenu prévient qu'il n'est "pas favorable" à voter le projet de loi qui doit contenir la disposition. Le président LR des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, accuse l'exécutif de vouloir "gagner du temps". Le 1er décembre, date à partir de laquelle la vente à perte sera rendue possible, "il ne se passera rien".