Éric Dupond-Moretti 1:19
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Jean-Baptiste Marty avec AFP / Crédits photo : STEPHANE MOUCHMOUCHE / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP , modifié à
À partir de ce lundi, l'actuel ministre de la Justice comparaît devant la Cour de justice de la République (CJR) pour prise illégal d'intérêts. Un procès inédit sous la Ve République. Quels faits lui sont-ils reprochés ? Europe 1 fait le point.

C'est du jamais-vu sous la Ve République. À partir de lundi et pour 10 jours, le ministre de la Justice en exercice, Éric Dupond-Moretti, sera assis sur le banc des prévenus d'un tribunal, accusé de conflits d'intérêts dans le cadre de ses fonctions. L'audience devant la Cour de justice de la République (CJR), seule habilitée à juger des membres du gouvernement pour des faits commis dans l'exercice de leurs fonctions, doit s'ouvrir à 14H00 au palais de justice de Paris.

L'avenir en politique du garde des Sceaux en jeu

Éric Dupond-Moretti, "serein" et qui a "hâte" de s'expliquer selon son entourage, devrait avoir la parole pour une déclaration liminaire dès la fin d'après-midi. Son interrogatoire est prévu mardi matin. L'ex-avocat star, l'une des rares personnalités connues de la Macronie, a gardé la confiance du président de la République malgré sa mise en examen.

Le ministre de la Justice aurait usé de sa fonction pour régler ses comptes avec des magistrats

Éric Duponc-Moretti, nommé à la surprise générale en juillet 2020, joue sans doute son avenir en politique. Interrogée début octobre sur la question d'une démission en cas de condamnation, Élisabeth Borne avait répondu qu'il existait une "règle claire", déjà "appliquée" à d'autres ministres, en référence à Alain Griset qui avait dû quitter le gouvernement. S'il est reconnu coupable de "prise illégale d'intérêts", le ministre encourt cinq ans d'emprisonnement, 500.000 euros d'amende, ainsi qu'une peine complémentaire d'inéligibilité et d'interdiction d'exercer une fonction publique.

L'ancien ténor du barreau se dit "innocent" et répète n'avoir fait que suivre "les recommandations" de son ministère en lançant des enquêtes administratives contre quatre magistrats avec qui il avait eu des différends quand il était avocat.

Le PNF dans une première affaire

Ce dossier inédit débute fin juin 2020, en marge de l'affaire de corruption dite "Paul Bismuth" visant l'ancien président Nicolas Sarkozy, quand Le Point révèle que le Parquet national financier (PNF) a fait éplucher les factures téléphoniques de plusieurs avocats, dont Éric Dupond-Moretti, pour débusquer une éventuelle taupe qui aurait informé Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog qu'ils étaient sur écoute.

Éric Dupond-Moretti, ami très proche de Me Herzog, dénonce une "enquête barbouzarde". "On a basculé dans la République des juges", s'insurge celui qui est alors l'un des avocats les plus médiatiques du pays, avant de porter plainte. La garde des Sceaux d'alors, Nicole Belloubet, avait demandé une "inspection de fonctionnement". Devenu ministre, Éric Dupond-Moretti avait ensuite ordonné une enquête administrative contre deux magistrats et la cheffe du PNF pour déterminer d'éventuelles fautes individuelles.

Autre affaire, une enquête administrative lancée contre un ex-juge détaché à Monaco

Il avait aussi ouvert, dans une autre affaire, une enquête administrative contre un ex-juge détaché à Monaco dont il avait dénoncé en tant qu'avocat les méthodes de "cow-boy" et contre lequel il avait porté plainte au nom d'un client pour violation du secret de l'instruction. Pendant l'enquête, Éric Dupond-Moretti, qui a toujours entretenu des relations rugueuses avec les magistrats, a dénoncé une instruction "biaisée" visant à "salir la réputation d'un ancien avocat" et nourrir son procès en "illégitimité à occuper les fonctions de garde des Sceaux". Une vingtaine de témoins se succèderont à la barre au procès, dont l'ancien Premier ministre Jean Castex et Nicole Belloubet.

Seront aussi appelés à témoigner les quatre magistrats visés - et blanchis après leurs procédures disciplinaires -, des syndicalistes à l'origine des plaintes contre le ministre et l'ex-procureur général près la Cour de cassation François Molins.

Le temps de l'audience, prévue jusqu'au 16 novembre, il restera ministre comme si de rien était, ou presque : des mesures seront prises "afin d'assurer le bon fonctionnement des pouvoirs publics et la continuité de l'État", comme des délégations de signature, une absence excusée au Conseil des ministres ou encore son remplacement au banc du gouvernement au Parlement, a précisé une source gouvernementale. Depuis sa création en 1993, la Cour de justice de la République a déjà condamné dix anciens membres du gouvernement, mais aucune peine ferme n'a jamais été prononcée.