Primaires LR : la tension monte, le danger aussi

© JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP
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Les candidats à la candidature, François Fillon en tête, n’ont pas ménagé les attaques contre leurs adversaires. Mais gare au retour de bâton. 

Cette fois, la guerre est déclarée. Le week-end dernier, les candidats à la primaire Les Républicains ont franchi un cap dans la violence des coups portés à leurs adversaires. Les "scuds" les plus puissants ont été tirés de Sablé-sur-Sarthe par François Fillon, et avaient pour cible Nicolas Sarkozy. Ce dernier s’est refusé de répliquer tout en répliquant lundi, alors que dimanche, c’est Alain Juppé qui avait distillé quelques tacles bien sentis à ses rivaux. Et pourtant, la campagne n’a pas officiellement débuté. Ce sera le 21 septembre. Et d’ici au 20 novembre, date du premier tour de scrutin, il reste encore beaucoup de temps. Les coups risquent donc de pleuvoir, et de voler bas, pendant encore plusieurs semaines. Au point d'handicaper le futur vainqueur des primaires ?

  • Faire fuir les électeurs

Il y a d’abord le risque de voir les électeurs fuir les primaires. "Ça peut les freiner", explique à Europe 1 Bernard Sananès, président de l’institut de sondages Elabe. "Les sympathisants ont pour une grande part réclamé une primaire, à la condition qu’il ne fallait pas qu’elle dérape. Si c’était le cas, cela pourrait éloigner les électeurs, notamment les plus distants, ceux de centre droit." Car pour les électeurs de droite, les divisions constituent surtout des mauvais souvenirs. "Il y a objectivement un traumatisme historique des sympathisants de droits sur les tensions, de Chaban-Chirac à Copé-Fillon en passant par Chirac-Giscard, Chirac-Balladur, Sarkozy-Villepin. C’est très mal perçu", souligne à Europe1.fr Frédéric Dabi, de l’institut Ifop. "Ils pensent que les divisions leur ont coûté la victoire en 1981, en 1988, et ont envoyé une image ridicule en 2012."

Or, si les électeurs boudent les urnes les 20 et 27 novembre prochain, la droite risque de faire moins bien que les socialistes en 2011, quand 2,7 puis 2,9 millions de personnes s’étaient déplacées pour au final désigner François Hollande candidat à la présidentielle. L’objectif, pour les Républicains, est de faire mieux. Cela dépend grandement du spectacle donné, et c’est mal parti. "Avec la nouveauté de la primaire, la compétition et la violence inhérente commencent encore plus tôt. On peut se dire que ça va être un long chemin de croix", prophétise Jean Garrigues, politologue et historien.

  • Le retour de flamme

Mais le risque principal, c’est le retour de bâton. Théoriquement, selon les statuts de la primaire, chaque vaincu s’engage à "soutenir publiquement le candidat à la présidence de la République désigné à l'issue de la primaire et à prendre part à sa campagne". Mais comment imaginer désormais François Fillon - qui a lancé dimanche un tonitruant "Qui imagine un seul instant le Général De Gaulle mis en examen?" -  se ranger bien sagement derrière Nicolas Sarkozy si celui-ci était désigné ? "De quel côté voulez-vous qu’il aille ? Bon gré, mal gré, il se rangera du côté du vainqueur", répond à Europe1.fr Bernard Debré, soutien de l’ancien Premier ministre.

" Ça va devenir de plus en plus âpre "

Pour le député de Paris d’ailleurs, ces attaques font partie du processus. "C’est le début d’une vraie campagne. Alain Juppé n’est pas non plus d’une tendresse folle, pas plus que Nicolas Sarkozy", relève-t-il.  "Ce sont des primaires, il ne faut pas imaginer que c’est un processus doux, gentillet. Il y a une compétition, ça va devenir de plus en plus âpre", prévient d’ailleurs Bernard Debré. L’élu admet d’ailleurs que pour François Fillon, à la traîne dans les sondages, ces attaques sont nécessaires. "C’est une stratégie que plusieurs d’entre nous lui avions conseillé, d’être un peu plus mordant, de réagir plus fortement. Il y est allé avec son cœur, sa volonté, sa hargne", estime-t-il. Le message est semble-t-il passé.

Du côté de François Fillon pourtant, certains sont beaucoup plus prudents. Certains, même, ne veulent pas voir pas dans le discours prononcé par l’ancien Premier ministre d’attaques contre Nicolas Sarkozy. "Il a simplement voulu donner sa vision de la ‘représidentialisation’ de la fonction présidentielle. Il n’y a pas eu d’attaques personnelles", ose ainsi le député Jérôme Chartier, fidèle parmi les fidèles. "Ce n’était pas un coup bas parce que ce n’était pas un coup. Après, chacun est libre de faire les analyses des paroles de François Fillon comme bon lui semble", assure-t-il. "Une campagne, c’est parfois un peu viril, et pour l’instant, ça ne l’est pas". Voilà qui promet.

" Eviter que les petites phrases nous soient reprochées par la suite "

 Il est des candidats, pourtant, qui restent plus modérés. Alain Juppé d’abord, parce qu’il est en tête des sondages.  Bruno Le Maire ensuite. L’autoproclamé "candidat du renouveau" se tient à l’écart du ring.  "On ne veut pas être dans la surenchère, rentrer dans les commentaires des commentaires. C’est vrai qu’on est entrés dans le vif du sujet, dans une nouvelle phase, mais on veut faire campagne sereinement, sans s’énerver, sortir des haines recluses du passé. Ça conforte notre position, qui est de sortir de la politique à l’ancienne", explique Frank Riester. "On veut éviter les frustrations, les humiliations, pour ne pas que les petites phrases nous soient reprochées par la suite."

Car voilà l’autre retour de flamme possible. Au-delà d’une photo de famille - regroupant le vainqueur et ses vaincus - qui aura bien du mal à fleurer bon la sincérité, il y a le risque que les arguments utilisés pendant la campagne par les adversairs du même bord soient utilisés par l’autre camp.

L’exemple socialiste de 2011. Pour se convaincre de l’existence d’un "effet boomerang", inutile de remonter trop loin. En 2011, le Parti socialiste organise sa primaire à l’élection présidentielle de 2012. Le débat entre les six "impétrants", selon le mot d’Arnaud Montebourg, est âpre - même si, comparé aux attaques du week-end chez Les Républicains, les petites phrases de l’époque apparaissent désormais comme des petites taquineries. Martine Aubry, notamment, lâche deux formules à l’encontre de François Hollande, favori du scrutin. "Gauche molle", d’abord, et surtout "quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup". La petite phrase fait mouche. Elle ne permettra pas à la maire de Lille de l’emporter, mais ses adversaires de droite ne l’oublieront pas. A plusieurs reprises, des députés de l’ex-UMP la resserviront, notamment Luc Chatel et Christian Jacob en septembre 2015 à l’endroit de Manuel Valls.  

Mais c’est surtout une fois François Hollande désigné candidat que ressortiront de vieux et encombrants dossiers. Et particulièrement les sobriquets dont avaient affublé les camarades socialistes de l’actuel président de la République dans les années précédentes. Parmi ces surnoms, "Fraise des bois", inventé en 2002 par Laurent Fabius, auteur aussi de "Monsieur petites blagues", est l’un des plus célèbres. Mais c’est sans doute "Flanby", œuvre d’Arnaud Montebourg en 2003, qui est le plus utilisé par les détracteurs du chef de l’Etat. Preuve qu’en politique, rien ne s’oublie. Et surtout pas les vacheries.