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avec AFP , modifié à
Dans sa décision très attendue sur le projet de loi immigration, le Conseil constitutionnel a censuré largement le texte, à hauteur de 40%, dont le durcissement de l'accès aux prestations sociales. Les Sages ont validé "l'intégralité du texte du gouvernement", se félicite Gérald Darmanin qui a annoncé que le texte serait très prochainement promulgué.
L'ESSENTIEL

Les "Sages" du Conseil constitutionnel ont censuré très largement la loi immigration, dont de nombreuses mesures de durcissement adoptées en décembre sous la pression de la droite, un développement majeur dans ce feuilleton qui a fait tanguer la majorité. Durcissement de l'accès aux prestations sociales pour les étrangers, quotas migratoires annuels, resserrement des critères du regroupement familial, "caution retour" étudiante... La plupart des mesures irritantes pour le camp présidentiel n'ont pas passé le filtre des neuf juges saisis sur ce texte décrié, voté fin 2023 avec l'appui du Rassemblement national.

Les principales informations :

- Le Conseil constitutionnel censure largement (40%) la loi immigration

- 32 articles sont jugés sans lien suffisant avec le texte, dont le durcissement de l'accès aux prestations sociales

- Le Conseil constitutionnel "valide l'intégralité du texte du gouvernement", se félicite Gérald Darmanin

La loi immigration, promulguée "dans les heures qui viennent"

Le projet de loi du gouvernement sur l'immigration sera promulgué "dans les heures qui viennent", a affirmé jeudi soir le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin au 20H de TF1, alors que le Conseil constitutionnel a censuré en grande partie le texte. "C'est au président de la République de promulguer la loi. J'ai eu un échange avec lui, il le fera (...) dans les heures qui viennent", a souligné Gérald Darmanin, qui a indiqué qu'il réunirait vendredi matin "tous les préfets" pour "appliquer la loi".

Emmanuel Macron demande à Gérald Darmanin d'appliquer la loi "dans les meilleurs délais" 

Emmanuel Macron a demandé au ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, de "tout mettre en œuvre" pour "appliquer dans les meilleurs délais" la loi immigration, après la large censure du texte jeudi par le Conseil constitutionnel.

"Le chef de l'État prend acte de cette décision", a indiqué à l'AFP l'entourage d'Emmanuel Macron, qui malgré la censure - totale ou partielle - de 35 des 86 articles, estime que les Sages ont "validé quasi intégralement les mesures que le gouvernement avait portées dans son projet de loi initial afin de protéger les Français".

L'exécutif "prend acte de la censure de nombreux articles ajoutés au Parlement"

"Le Conseil constitutionnel valide l'intégralité du texte du gouvernement", s'est félicité le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin sur X, ajoutant que l'exécutif "prend acte (...) de la censure de nombreux articles ajoutés au Parlement, pour non-respect de la procédure parlementaire".

À l'inverse, le patron du RN Jordan Bardella a dénoncé "un coup de force des juges, avec le soutien du président de la République lui-même". "La loi immigration est mort-née. La seule solution, c'est le référendum sur l'immigration", a-t-il insisté.

De son côté, Marine Le Pen a estimé que "seule une réforme de la Constitution permettra de répondre aux enjeux migratoires". La cheffe de file des députés du Rassemblement national juge que "la rédaction en vigueur de la Constitution, ainsi que la jurisprudence actuelle, ne permettent pas de protéger les Français de l'immigration incontrôlée", invoquant les mesures censurées sur le fond par le Conseil Constitutionnel. 

Le patron de LR Éric Ciotti a appelé jeudi à une réforme constitutionnelle "plus que jamais indispensable pour sauvegarder le destin de la France" après que le Conseil constitutionnel a retoqué, totalement ou partiellement, 35 mesures de la loi immigration votée mi-décembre au Parlement. "Cette censure était attendue par Emmanuel Macron et la gauche", a réagi sur X le député des Alpes-Maritimes, dont le parti avait durci la loi au Sénat. Selon Éric Ciotti, les membres du Conseil constitutionnel "ont jugé en politique plutôt qu'en droit".

Le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure juge que "le gouvernement portera comme une tâche indélébile l'appel à voter" la loi immigration. Exprimant sur X "sa satisfaction" après la décision du Conseil constitutionnel, il souligne qu'avec cette loi, le gouvernement s'était "aligné sur les positions historiques de l'extrême droite sous la pression de LR".

Enfin, "c'est une victoire ce soir, 32 articles sont rejetés" sur 86 par les Sages, s'est félicité le président de l'ONG Amnesty international, Jean-Claude Samouiller, lors d'un rassemblement près du Conseil constitutionnel. L'ONG sera "vigilante" à ce que la partie du texte censurée "ne revienne pas par la fenêtre" avant la promulgation de la loi, a-t-il ajouté.

Les Républicains exigent un nouveau texte avec les dispositions censurées

Les Républicains ont demandé jeudi au gouvernement un nouveau texte de loi sur l'immigration qui reprenne "au plus vite" l'ensemble des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel, estimant qu'il ne "s'est pas prononcé sur le fond".

"Nous demandons au gouvernement de reprendre au plus vite dans un texte législatif spécifique l'ensemble des dispositions invalidées par le Conseil constitutionnel en tant que 'cavaliers législatifs '", a indiqué le parti dans un communiqué signé par son patron Éric Ciotti, ainsi que le président du groupe au Sénat, Bruno Retailleau, et son homologue de l'Assemblée nationale, Olivier Marleix.

Une décision qui rebat les cartes

La décision du Conseil constitutionnel, scrutée par les associations de défense des sans-papiers comme par toutes les forces politiques du pays, rebat assez largement les cartes, avant la promulgation du texte par Emmanuel Macron. En effet, 35 des 86 articles du projet de loi ont été totalement ou partiellement censurés selon la décision consultée par l'AFP, le Conseil estimant pour l'essentiel d'entre eux - 32, précisément - qu'ils n'avaient pas leur place dans le périmètre de ce texte de loi. Il s'agit de "cavaliers législatifs", qui pourraient toutefois réapparaître plus tard dans d'autres textes.

Pour l'aile gauche macroniste, très réticente à certaines mesures jusqu'à susciter les états d'âme de plusieurs ministres - Aurélien Rousseau avait démissionné de la Santé -, elle sera accueillie avec un certain soulagement : Emmanuel Macron lui-même avait saisi les "Sages", sans cacher son scepticisme face à plusieurs dispositifs pourtant votés par sa majorité. Pour l'opposition des Républicains (LR) et le Rassemblement national, la large censure de nombreuses mesures emblématiques de la droite et de l'extrême droite risque de relancer le débat sur une éventuelle réforme constitutionnelle, brandie sans cesse par ces partis sur les questions migratoires.

Quotas migratoires inconstitutionnels

Très controversée, la mesure allongeant la durée de résidence exigée pour que des non-Européens en situation régulière puissent bénéficier de certaines prestations sociales (APL, allocations familiales...) a ainsi été totalement censurée. Idem pour le resserrement des critères du regroupement familial (avec une durée de résidence requise passant de 18 à 24 mois), l'instauration d'une "caution retour" pour les étudiants étrangers ou la fin de l'automaticité du droit du sol pour les enfants d'étrangers nés en France.

L'instauration de quotas migratoires annuels déterminés par le Parlement après un débat obligatoire, elle, a été jugée inconstitutionnelle, ce qui fera jurisprudence. Le projet de loi conserve néanmoins la structure initialement souhaitée par le gouvernement, avec un large volet de simplification des procédures pour expulser les étrangers délinquants, l'un des objectifs du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin.

Sans surprise, l'article sur les régularisations de travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension, qui avait cristallisé les débats de l'automne, est bien validé par les Sages. Les services de Beauvau ont d'ailleurs saisi le calendrier pour publier en parallèle jeudi les chiffres - records - de l'immigration pour 2023, avec une accélération des expulsions comme des régularisations de travailleurs sans-papiers. Des statistiques qui reflètent selon Gérald Darmanin les "priorités politiques" contenues dans ce projet de loi.