ÉDITO - Le silence de la France vis-à-vis de l'Algérie est dicté par la trouille

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Jean-Michel Aphatie
L'absence de prise de position de la part de l'exécutif français vis-à-vis de la crise algérienne trahit la crainte d'une montée des islamismes si Abdelaziz Bouteflika devait quitter le pouvoir.
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Malgré la grogne d'une large partie de son peuple, le président algérien Abdelaziz Bouteflika a officiellement brigué dimanche un cinquième mandat. Dans le même temps, 6.000 personnes manifestaient à Paris contre cette candidature. À ce stade, Emmanuel Macron n'a encore fait aucune déclaration. "La France veut réaffirmer la souveraineté du peuple algérien, l'Algérie doit saisir et choisir son destin, nous n'avons pas là à commenter ce qui est en train de se passer", a glissé de son côté Didier Guillaume, le ministre de l'Agriculture, au micro d'Europe 1. Mais en vérité, la position de la France, vis-à-vis de l'Algérie, est dominée par la trouille.

Il suffit de lire certains romanciers algériens édités en France, comme Yasmina Khadra, pour connaitre l'enfer quotidien de la vie en Algérie. Le régime est corrompu et plonge les Algériens dans la misère et le désespoir. La France n'a pas d'autre solution que d'être en accompagnement de ces centaines de milliers d'Algériens qui manifestent. Non seulement ils demandent à Abdelaziz Bouteflika de ne pas se représenter, mais également au Front de libération nationale (FLN), qui dirige le pays depuis 1962, de quitter le pouvoir.

La position de la France devrait être la même. Paris est capable d'adopter une telle posture, ancrée dans le champ moral de la défense des droits de l'Homme et du citoyen. Nous l'avons déjà fait, par exemple au Venezuela. Emmanuel Macron n'a pas hésité, le 24 janvier, à dire que le président élu, Nicolas Maduro, était "illégitime" et qu'il devait écouter la colère de son peuple.

Mais pourquoi ce qui est possible au Venezuela ne l'est pas à propos de l'Algérie ? On invoque, trop facilement, une histoire complexe entre les deux pays. Au fond, c'est la trouille, la trouille de voir le régime du FLN, même s'il est corrompu, être balayé par des islamistes qui arriveraient au pouvoir à Alger et qui pourraient poser un grave problème de sécurité pour l'Europe et la France. Mais cette trouille est nourrie par une erreur d'analyse. Nous pensons que dans les pays musulmans, les régimes autoritaires, qui sont souvent des régimes militaires, nous évitent les pouvoirs islamistes.

Or, en Égypte et en Libye, l'histoire récente a montré que les pouvoirs militaires nourrissent l'islamisme, qu'il se répend dans les tréfonds de la société, se faisant, par le biais d'associations, le seul véritable porteur d'espoir pour des citoyens démunis de tout. En Algérie aussi. Si la sphère islamiste y est très divisée, elle n'en est pas moins extrêmement présente dans la société algérienne. Les pouvoirs autoritaires nourrissent l'islamisme, le FLN a nourri l'islamisme, et nous continuons à soutenir, d'une certaine manière, le FLN et Abdelaziz Bouteflika. Souhaitons que nous n'ayons pas à payer cher l'erreur d'analyse que nous sommes en train de faire aujourd'hui.