"Gilets jaunes" : les difficultés s'enchaînent pour le "grand débat national"

Le grand débat national voulu par Emmanuel Macron vire au casse-tête.
Le grand débat national voulu par Emmanuel Macron vire au casse-tête. © Ludovic MARIN / AFP
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Reports en série, grand flou autour des modalités, contradictions sur les sujets abordés et, désormais, démission de la présidente Chantal Jouanno : le grand débat paraît bien mal engagé.

Ce devait être une réappropriation du débat public par les citoyens, un sursaut de démocratie participative destiné à rapprocher électeurs et élus. Mais le grand débat national initié par l'exécutif pour apporter des réponses de long terme à la crise des "gilets jaunes" est en train de virer à la cacophonie, pour ne pas dire au cauchemar. Et la décision prise mardi par Chantal Jouanno, présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), de se "retirer du pilotage de ce débat", n'est que le dernier accroc d'une série déjà longue.

Le rôle de l'exécutif sème le trouble. Depuis la présentation officielle de ce dispositif en Conseil des ministres, le 12 décembre dernier, les déconvenues se sont succédé. D'abord sur la date des premières consultations, au départ prévues avant Noël, puis sans cesse repoussée jusqu'au 15 janvier. Ensuite parce que l'agenda d'Emmanuel Macron a parfois semblé perturber le jeu, comme lorsqu'il a pris l'initiative de rencontrer des maires des Yvelines, début décembre, alors que les autres édiles attendaient patiemment le début des festivités.

" La commission veillera à ce que les réunions ne soient en aucun cas des 'meetings politiques', ni pour le gouvernement ni pour la majorité. "

La question du rôle à jouer par l'exécutif a d'ailleurs très vite été une source d'inquiétude pour la présidente de la CNDP, Chantal Jouanno. Dans une lettre adressée à Matignon le 15 décembre, celle-ci écrivait qu'il est "primordial de ne jamais laisser entendre que le gouvernement pilote directement ou indirectement" les débats. La commission "veillera à ce que les réunions ne soient en aucun cas des 'meetings politiques', ni pour le gouvernement ni pour la majorité". Finalement, Emmanuel Macron donnera bien de sa personne, puisqu'il sera dans l'Eure le 15 janvier, puis dans le Lot deux jours plus tard. Mais du côté de l'Élysée, on assure qu'il gardera une posture d'écoute.

Confusion autour des sujets abordés. D'autres facteurs viennent perturber le déroulé du grand débat national, notamment la question, délicate, des sujets à aborder. Toute question peut-elle être mise sur la table ? Le 20 décembre sur Europe 1, Chantal Jouanno appelait à "faire respecter la parole des citoyens", à ne pas "l'étouffer". Mais reconnaissait néanmoins qu'il était "légitime [que] le gouvernement choisisse les sujets sur lesquels il souhaite entendre les Français". L'exécutif ne s'est donc pas fait prier, traçant des lignes rouges dès le mois de décembre. Le grand débat, "ce n'est pas rejouer la présidentielle de 2017, ce n'est pas non plus détricoter ce que le gouvernement et le Parlement ont mis en place depuis 18 mois", a prévenu Benjamin Griveaux. Trop vagues pour être réellement contraignantes, ces instructions ont ensuite été précisées mardi par le porte-parole de l'exécutif. "On ne tergiversera pas sur les valeurs", a-t-il averti, précisant que l'IVG, la peine de mort ou le mariage pour tous "ne seront pas sur la table".

Or, Chantal Jouanno avait déconseillé, toujours dans la même lettre envoyée le 15 décembre, de mettre de tels vetos. "Afficher une telle position avant l'ouverture du grand débat en videra les salles ou en radicalisera plus encore les oppositions", écrivait-elle.

 

Des risques de noyautage. De fait, la question du mariage pour tous est aussi venue perturber des débats supposés s'inscrire dans le cadre de quatre grands thèmes bien définis (logement, transport et énergie ; fiscalité ; démocratie et citoyenneté, dont l'immigration ; services publics). En effet, dès le 15 décembre, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a mis en ligne une consultation pour préparer le débat, grâce à laquelle chacun pouvait faire des propositions et donner son avis sur celles des autres. Résultat : les premiers résultats, le 4 janvier, ont montré que l'abrogation du mariage pour tous arrivait en pole position des préoccupations des Français. L'œuvre, en réalité, des réseaux de la manif pour tous, qui ont noyauté la consultation.

À la recherche d'un plan B. La mise en place du grand débat était donc déjà très compliquée lorsqu'a éclaté la polémique autour du salaire de Chantal Jouanno. En tant que présidente de la CNDP, celle-ci touche en effet environ 14.500 euros par mois. Ce qui n'a rien à voir avec la mission précise du pilotage de ce grand débat, mais a néanmoins suscité de vives critiques de toutes parts. Reconnaissant que les interrogations étaient "légitimes", l'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy a fini par jeter l'éponge, mardi, estimant que "les conditions de sérénité nécessaires pour ce débat" n'étaient plus assurées.

Une énième difficulté pour l'exécutif, qui doit désormais trouver à la hâte un plan B. Mardi soir, Matignon a assuré que "le gouvernement proposera[it] à l'issue du séminaire gouvernemental [mercredi] une organisation et un mode de pilotage du grand débat national qui présenteront des garanties équivalentes en termes d'indépendance et de neutralité". Reste que l'image renvoyée par cet ultime rebondissement dans un feuilleton qui n'en manque pas n'est pas celle d'un débat sereinement organisé. Et donne du grain à moudre à une opposition et des "gilets jaunes" déjà persuadés qu'il s'agit d'un "grand enfumage".