Élections européennes : pourquoi aucun ténor ne veut-il être tête de liste ?

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Virginie Riva et Isabelle Ory, édité par Romain David , modifié à
Le changement de règle sur le cumul des mandats et la faible médiatisation du Parlement européen en France n'incitent guère les principaux leaders politiques à se lancer.

Le Parti socialiste, La République en marche, les Républicains, le Rassemblement national… Chez tous ces partis, aucun des ténors ne veut s'engager pour les européennes de 2019. Alors que l'échéance approche, les formations politiques ont de plus en plus de mal à trouver des têtes de liste.

Il faut dire que cette fois, les principaux chefs de partis sont tous élus à l’Assemblée nationale, comme Jean-Luc Mélenchon, Olivier Faure, Marine Le Pen, ou bien à la tête d’une grande région comme Laurent Wauquiez. Il leur est impossible de cumuler les deux mandats. Hors de question non plus de démissionner de leur poste national ou régional : s’ils veulent peser sur la vie politique, il leur faut être à Paris. Comme l'explique Olivier Faure, le patron du PS, il est impossible de diriger un parti depuis Bruxelles. Une seule exception : Nicolas Dupont-Aignan, qui est tête de liste pour Debout la France. Mais son cas reste particulier, celui qui a soutenu Marine Le Pen au second tour de la présidentielle pense avoir un coup à jouer en étant élu à Bruxelles, d'autant que son parti, crédité de 6 à 7% d’intentions de vote, ne vit que sur son seul nom.

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Un monde de l'ombre

À cela s’ajoute également un énorme manque de visibilité pour les eurodéputés. Élu au parlement de Strasbourg depuis 1999, Alain Lamassoure a lui-même souffert de ce manque d’exposition. "Choisir le mandat de député européen, c'est faire vœu de chasteté médiatique", relève-t-il. "J'ai été porte-parole du gouvernement d'Alain Juppé. En tant que tel, j'étais invité deux à trois fois par semaine au 20 Heures d'un grand journal télévisé national. Dans les quinze années qui ont suivi, ayant retrouvé le Parlement européen, je n'ai été invité par une grande chaîne de télévision qu'une seule fois, à 23h30, et ça n'était même pas pour parler d'Europe", déplore-t-il.

Le Parlement européen n’est pas une rampe de lancement pour une carrière nationale, notamment parce que ses codes diffèrent grandement de ceux de la politique française. Il y règne une culture politique du compromis, très européenne, très différente de ce qui peut se passer, par exemple, au Palais Bourbon où se joue un face-à-face permanent entre la majorité et l'opposition. La France dispose pourtant d'eurodéputés largement salués pour leur investissement, mais que les électeurs ne connaissent pas. Par exemple, Elisabeth Morin-Chartier, un nom peu connu dans l'Hexagone, et pourtant, c’est grâce à cette femme de droite que le fameux accord sur la directive des travailleurs détachés a pu voir le jour. Elle était rapporteur du projet et a longuement œuvré à rapprocher la gauche et la droite, l'est et l'ouest, sur ce dossier. Emmanuel Macron lui doit beaucoup.

Parmi les rares députés européens connus, on peut citer Rachida Dati, Nadine Morano, Jean-Marie Le Pen ou encore Vincent Peillon. Mais ils doivent leur notoriété à leur carrière parisienne. À Strasbourg, ils sont d’ailleurs plutôt transparents. Certaines langues perfides disent que pour les Français, le Parlement européen est un cimetière d'éléphants.

Un tremplin politique dans le reste de l'Europe

Dans les autres pays, le Parlement européen fait davantage rêver. À l’est de l’Europe, il s'agit d'un poste très en vue. La Première ministre roumaine par exemple, était députée européenne avant de se retrouver propulsée du jour au lendemain à la tête de son pays. Il y a des exemples équivalents en Croatie ou dans les pays baltes.

Chez nos voisins immédiats, les élus tablent davantage que nous sur le Parlement européen, même s’ils ne sont pas forcément plus présents dans les médias. Ils font des carrières suivies, avec plusieurs mandats de suite, ce qui leur permet de bien comprendre la machine et d’obtenir des positions de pouvoirs, comme celui de président de commission. En France, ils sont très peu nombreux à avoir ce parcours.

Éviter les batailles de coqs

Le changement du mode de scrutin complique également la tâche des chefs de parti français. Avec la mise en place d'un scrutin national, et la fin des listes régionales, les grands leaders politique ne veulent pas se créer une concurrence interne en désignant une tête de liste trop connue.C’est le cas chez Jean-Luc Mélenchon, qui pourrait opter pour Manuel Bompard. Au sein du RN, Marine Le Pen "ne veut pas de tête de liste qui lui fasse de l’ombre", souffle un cadre. Résultat, le nom de son compagnon Louis Alliot circule régulièrement. Chez Les Républicains, on cite le nom de Jean Leonetti, pas très connu du grand public.

Au PS, la situation est encore un peu plus compliquée en raison de la déroute du parti. Après les refus de Bernard Cazeneuve et Christiane Taubira, beaucoup d’inconnus souhaitent se lancer. Ségolène Royal est la seule qui aurait une carte à jouer, car la campagne lui permettrait de tester sa popularité avant la présidentielle de 2022. Mais l'ancienne ministre de l'Ecologie de François Hollande ne souhaite pas y aller sous la seule étiquette du Parti socialiste. Du côté d'En Marche !, on cherche encore le bon profil.

Il faut donc s’attendre à une bataille entre seconds couteaux, avec des aspirants aux têtes de liste qui risquent bien d’être seulement des prête-noms. Car dans la mesure où ce scrutin est déterminant pour l’avenir de l’Europe, mais aussi un test pour Emmanuel Macron et ses oppositions, les patrons de partis entendent bien, de manière assez paradoxale, mener campagne pour un mandat qu'ils ne briguent pas.