Loi travail : des "Barons noirs" derrière les jeunes socialistes ?

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Des pancartes MJS seront brandies mercredi lors de la manifestation des jeunes contre la loi El Khomri. © FRED DUFOUR / AFP
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Pour la première fois de sa courte histoire, le Mouvement des jeunes socialistes défilera mercredi contre une loi d’un gouvernement soutenu par le PS, son grand frère.

Symboliquement, le message est fort. Pour la première fois de son histoire, le Mouvement des jeunes socialistes (MJS), dirigé par Benjamin Lucas, s’apprête à manifester, mercredi, contre un gouvernement soutenu par le PS. Un signe de plus, après notamment une pétition record, que la loi El Khomri soulève des indignations inédites tant chez les jeunes qu’à gauche. Un signe de plus, aussi, du pouvoir de nuisance grandissant des frondeurs du PS, dont le MJS est proche.

Une première depuis l’autonomie, en 1993. Le MJS est comme ses membres : relativement jeune. Emulation des Jeunes socialistes, la formation est née en 1993, lors d’un congrès constituant à Avignon.  A partir de cette date, la jeune garde prend, théoriquement au moins, son autonomie. Ses dirigeants ne sont plus désignés par le PS, alors qu’un bureau national et un président définissent une ligne propre. Dans les faits, de nombreuses passerelles demeurent avec la rue de Solférino, siège du PS. Statutairement d’ailleurs, le président du MJS est membre des instances nationales du parti.

La proximité est telle que jamais, jusqu’alors, le MJS, si prompt à descendre dans la rue sous la droite, ne l’avait fait sous la gauche. Certes, les occasions ont été rares, puisque le PS n’a été au pouvoir, depuis 1993, qu’entre 1997 et 2002, et depuis 2012. "C’est vrai que le MJS a plutôt eu l’habitude de manifester sous un gouvernement de droite", admet Régis Juanico, député de la Loire et ancien président du mouvement, qui cite tout de même une manifestation en 1994 lors d’un sommet France-Afrique à Biarritz, présidé par François Mitterrand. Mais concernant un mouvement social, le fait est inédit. Cette première aura lieu mercredi, place de la République, où les banderoles MJS flotteront aux côtés de celles du mouvement étudiants Unef ou des syndicats lycéens Fidl et UNL.

"Baron(s) noir(s)" en sous-main ? Si le MJS se proclame autonome, beaucoup l’imaginent pourtant pilotés par les frondeurs du PS, soucieux d’affaiblir autant que possible Manuel Valls. "Il se murmure que la gauche de la gauche, notamment Benoît Hamon (premier président du MJS, de 1993 à 1995, ndlr) ou Pouria Amirshahi, sont derrière cette décision", résume un bon connaisseur du PS et de ses arcanes. Une affirmation réfutée par Benjamin Lucas, président de la formation depuis décembre 2015. "Je suis proche de Hamon. Mais il ne me donne aucune consigne", assurait-il mardi dans Libération. "Il n’y a pas de contrôle, ni de mainmise. C’est bizarre, en France, on croit toujours que les jeunes sont manipulables."

"Ce qui était une réalité il y a 10-15 ans ne l’est plus aujourd’hui. Il n’y a plus de lien. Le MJS est assez grand pour décider lui-même", abonde Régis Juanico, membre des frondeurs du PS. "Le gouvernement est un peu paranoïaque, persuadé qu’il y a un complot qui est ourdi, qu’il y a des ‘barons noirs’ derrière tout ça. Ce n’est pas le cas", assure le député de la Loire, dont l’argument suivant est plus surprenant : "De toutes façons, vous pouvez mettre la manipulation que vous voulez, après, ça prend ou pas. La manifestation de la jeunesse dans la rue, c’est une vieille recette, qui n’a pas été utilisée depuis longtemps, et dont on n’est même pas sûr qu’elle fonctionne encore", explique l’ancien président du MJS.

L’aboutissement d’une tension grandissante avec Valls. Pour Régis Juanico, si le MJS a décidé de défiler mercredi, c’est d’abord pour des raisons de fond. "C’est ni plus ni moins que la traduction de ce que pensent 90 à 95% des militants de gauche du sujet de la loi El Khomri", assure l’élu socialiste. D’ailleurs, le 31 mars prochain, lors de la grande manifestation à l’appel des syndicats, "il y aura beaucoup de militants PS, je peux vous le dire", assure-t-il.

En outre, cette décision du MJS est aussi l’aboutissement d’une tension grandissante avec Manuel Valls, qui incarne le virage social-libéral du gouvernement. En témoigne le dîner, très houleux, qui a eu lieu en août 2015 lors des universités du PS à La Rochelle. Après un vif accrochage, le chef du gouvernement avait quitté la table aux cris de "Valls, démission". Le Premier ministre pourrait donc bien être la principale cible du MJS. Comme il est, depuis de nombreuses semaines, la principale cible des fondeurs du PS.