Ministres et justice, entre loi et pratiques

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Fabienne Cosnay , modifié à
A quelles règles sont soumis les ministres ? Qui peut les entendre ? Europe1.fr fait le point.

Eric Woerth a été entendu jeudi en qualité de témoin par la brigade financière dans l’affaire Bettencourt. Pendant l’exercice de ses fonctions, un ministre n’est pas tout à fait considéré comme un justiciable classique. Explications.

La Cour de justice de la République

Cette juridiction, réservée aux ministres, est compétente pour tous les crimes ou délits commis par des membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions. Ce qui exclut les infractions commises pendant le mandat, mais qui n’ont pas de lien avec les prérogatives des ministres. C’est le cas, par exemple, dans l’affaire Woerth ou Clearstream.

La justice ordinaire

>>> Le simple témoin

La règle. Pour le reste, que ce soit au pénal ou au civil, toute audition d'un ministre en tant que simple témoin requiert l’autorisation préalable du Conseil des ministres, en vertu de l'article 652 du code de procédure pénale et après demande du parquet à la Chancellerie. Le ministre peut ensuite être interrogé à son domicile personnel ou dans les locaux de la brigade financière. En cas de refus du Conseil - ce qui n’est jamais arrivé - le ministre peut répondre par écrit à un questionnaire du magistrat.

Les exemples. Premier à avoir ouvert la danse, Lionel Jospin. Le 14 novembre 2001, le Premier ministre est entendu comme simple témoin dans l'affaire Destrade de financement occulte du Parti socialiste au début des années 1990. Le 30 janvier 2002, c’est Jean Glavany qui sera auditionné dans le même dossier. Autre affaire : celle des marchés publics d'Ile-de-France dans laquelle Pierre Moscovici et Claude Bartolone, respectivement ministres des Affaires européennes et de la Ville ont été entendus par le parquet. Le 20 février 2002, ce sont les ministres des Affaires étrangères Hubert Védrine et celui des Affaires européennes Pierre Moscovici qui étaient auditionnés dans l’Angolagate.

>>> Le "témoin assisté" ou mis en examen

La règle. Dans ces deux cas, aucun feu vert du Conseil des ministres n’est exigé. Le ministre, entendu comme simple témoin au départ, peut ensuite être considéré comme un témoin assisté (simples indices) ou mis en examen (indices graves ou concordants). Dans cette dernière hypothèse, la Constitution ou la loi ne prévoient aucune règle. C’est donc la pratique qui s’est imposée avec la jurisprudence Bérégovoy - Balladur. Celle-ci veut qu'un ministre mis en examen, ou en passe de l'être, ne reste pas en fonction.

La jurisprudence. Une pratique instaurée en 1992 par Bernard Tapie, alors ministre de la Ville, mis en cause dans le dossier Toshiba. Ce seront ensuite les tours d'Alain Carignon (ministre de la Communication), suivi par Gérard Longuet (Industrie et Commerce) et Michel Roussin (Coopération) sous le gouvernement Balladur. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'Economie et des Finances sous le gouvernement Jospin, ira même jusqu'à démissionner, en octobre 1998, suite aux accusations dans l’affaire de la MNEF et alors qu’il n’est pas encore mis en examen.

Une jurisprudence remise en cause depuis le cas Donnedieu de Vabres. Mis en examen pour "blanchiment" dans l'affaire du financement du Parti Républicain, en qualité de directeur de cabinet de François Léotard, le ministre des Affaires européennes du gouvernement Raffarin n’a jamais démissionné.