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Sébastien Krebs, en Hongrie, édité par Thibaud Le Meneec
À quelques jours des Européennes, Europe 1 voyage à travers le continent. Pour cette troisième étape, notre grand reporter s'est rendu en Hongrie, où les thèmes identitaires sont omniprésents.
REPORTAGE

À l'occasion de la dernière semaine qui précède les élections européennes du 26 mai, Europe 1 voyage à travers le continent, à la rencontre des pays qui le peuplent. Notre grand reporter Sébastien Krebs s'est rendu en Hongrie pour cette troisième étape. La campagne des élections européennes y est centrée sur l'immigration, sous l'impulsion du Premier ministre Viktor Orbán, qui mène depuis 2010 une politique autoritaire.

C'est l'homme fort de l'Europe centrale : Viktor Orbán, 55 ans, Premier ministre de la Hongrie depuis 2010 et partisan du repeuplement de la nation hongroise. Dans ce pays d'environ 10 millions d'habitants, celui qui se présente comme l'ennemi juré d'Emmanuel Macron est presque incontesté. Et rien ne dit que les élections européennes vont remettre en cause son autorité : sa formation politique, le Fidesz, est créditée de 55% d'intentions de vote.

"Bruxelles veut imposer" les migrants

Et le Fidesz continue de battre campagne. Dans une banlieue de Budapest, le secrétaire d'État aux Affaires parlementaires, János Fónagy, tient meeting dans une salle municipale remplie de retraités de la classe moyenne. "Il n’y a pas de problème plus important que l’immigration", défend le ministre. "On choisit notre avenir : soit on sauve la culture judéo-chrétienne, soit on laisse le terrain au multiculturalisme. Notre message à Bruxelles, c’est qu’il faut stopper l’immigration."

Le message est également placardé dans toute la ville, car c'est l'unique sujet de la campagne. Pendant le discours, les images des files de migrants, captées en 2015, défilent, comme celles de l’attentat de Nice. Peu importe s’il n’y a pas vraiment de lien, cela fonctionne parfaitement pour mobiliser la base. "La Hongrie est depuis longtemps un pays chrétien. Eux n’ont pas la même culture, mais Bruxelles veut nous les imposer", s'insurge un sympathisant. "L’Europe me fait peur", abonde une militante. "Viktor Orbán, lui, a bien compris la situation et le danger."

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© Sébastien Krebs / Europe 1

Et le ministre poursuit sur les "bureaucrates de Bruxelles" accusés de soutenir intentionnellement l'immigration musulmane illégale. Dans les médias, en grande partie repris par le camp Orbán ces dernières années, publics comme privés, ces arguments sont abondamment relayés, sans contradiction. À l’heure actuelle, selon l’étude de Mertek, 77,8 % du chiffre d’affaires total des médias hongrois est généré par des sociétés contrôlées ou proches du Fidesz.

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La crise des migrants est-elle encore d'actualité aujourd'hui en Hongrie ? Pas vraiment. Avec sa clôture bien gardée, le pays n’a quasiment plus de migrants à sa porte. L’an dernier, il y a eu 700 demandes d’asile, selon le seul chiffre officiel. Elles ont quasiment toutes été rejetées et les candidats ont été reconduits en Serbie. Toute aide apportée aux arrivants par les ONG est maintenant criminalisée. "Cette baisse, c’est juste une impression", rétorque pourtant le ministre, qui craint que les quatre millions de Syriens qui vivent en Turquie ne viennent en Europe. Selon lui, 60 millions d’Africains s’apprêtent à traverser la Méditerranée.

En réalité, l'immigration n'est pas vraiment la principale menace pour le pays. Selon un sondage, les Hongrois s’inquiètent beaucoup plus de l'émigration, car la population décroit et vieillit. Elle pourrait baisser de 15% d’ici 2050. Et on manque déjà de main d’œuvre dans les usines du pays.

Besoin de "bébés hongrois"

Dans ce contexte, Viktor Orbán veut donc repeupler la nation hongroise, sans avoir recours à des travailleurs étrangers. Il faut des "bébés hongrois", plutôt que des migrants, se défendre "biologiquement", disait-il dans un discours il y a quelques semaines, en annonçant un grand plan pour booster la natalité.

C'est ce dont ont profité Daniela et Gabor, la trentaine, trois enfants et une belle maison de 150 m2 qu’ils ont pu faire construire grâce à la naissance de leur cadet. C'était la condition pour obtenir une aide généreuse. "La maison nous a coûté 40 millions de forint, dont 25 d’aide de l’Etat. Au final, on ne rembourse que 10 millions, à un taux très favorable", se félicite Daniela. 

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© Sébastien Krebs / Europe 1

"Si on n’avait pas reçu cette aide, on n’aurait jamais pu se payer une telle maison, et avoir un troisième enfant", enchaîne son mari Gabor. "Alors oui, je vais voter pour Orbán, parce que je suis content, et ce ne serait pas correct, après avoir reçu cette aide, de voter pour quelqu'un d’autre." Ce n’est pas tout : ils vont aussi recevoir un chèque pour acheter une voiture, et ne payeront plus l’impôt sur le revenu.

Révision conservatrice des manuels scolaires

Viktor Orbán veut avant tout une jeunesse hongroise qui soit chrétienne. C’est l’autre volet de sa politique : la religion a fait son retour à l’école, même dans le public. L'État s'y désengage, confiant de plus en plus à l’Église la gestion des établissements scolaires. "Ils ont appris à mon fils, en primaire, que l’homosexualité est un pêché. C’était même écrit dans le manuel scolaire. Ça nous a déplu", critique Gyorgy, parent d'élève. "Ces écoles gérées par l’Église sont plus conservatrices, j’ai l’impression que le gouvernement veut éduquer les enfants dans sa propre idéologie." L'État a aussi lancé une grande refonte des programmes et des manuels scolaires.

Et Viktor Orbán offre aussi beaucoup d’argent public pour rénover les églises, sans considération pour leur très faible affluence, car les Hongrois ne sont pas si pratiquants. Et les prêtres manquent, au point que le pays fait appel à des prêtres africains. Un élément beaucoup moins mis en avant dans la communication officielle.