Pourquoi l'hypothèse d'un second référendum sur le Brexit n'est plus si improbable

Theresa May au cœur d'une impasse politique dans les négociations sur le Brexit.
Theresa May au cœur d'une impasse politique dans les négociations sur le Brexit. © MATT DUNHAM / POOL / AFP
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Salomé Hénon--Cohin et Margaux Baralon
Alors que Theresa May enchaîne les défaites politiques, les anti-Brexit commencent à donner de la voix outre-Manche. Ils réclament un second référendum. Une option qui apparaît de plus en plus plausible.
ON DÉCRYPTE

Il y a quelques mois encore, cela paraissait impossible. Mais depuis plusieurs semaines, l'idée refait surface. La crise politique dans laquelle est plongée la Première ministre britannique, Theresa May, semble donner du crédit à l'hypothèse d'un second référendum sur le Brexit. D'autant plus que cette possibilité, soutenue par une partie de la classe politique anti-Brexit, rencontre le soutien d'une majorité de la population.

Une impasse politique. Si un second référendum n'apparaît plus si improbable, c'est que la situation politique britannique est intenable. Certes, Theresa May a bien réussi à trouver, non sans difficultés, un accord avec l'Union européenne pour organiser le Brexit. Mais ce texte doit absolument être validé par son Parlement. Or, il fait la quasi unanimité contre lui. Des élus les plus conservateurs aux plus progressistes, personne n'est convaincu. Les "Brexiters" lui reprochent d'entériner "la relation d'influence de Bruxelles sur le Royaume-Uni", nous explique Daniel Ruff, doyen de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Limoges et spécialiste du Royaume-Uni. De l'autre côté, les anti-Brexit le jugent trop dur. Et enfin, la solution du "backstop", trouvée pour éviter la réapparition d'une frontière entre la République d'Irlande et la province d'Irlande du nord ne satisfait ni les uns, ni les autres.

Motions de défiance. Résultat : Theresa May n'arrive pas à mobiliser de majorité pour voter l'accord. La Première ministre a annoncé le report du scrutin à la semaine du 14 janvier. Critiquée jusque dans son propre camp, elle a déjà surmonté une motion de défiance. Mais une deuxième vient d'être déposée par l'opposition travailliste, emmenée par son leader Jeremy Corbyn. Ce dernier a estimé que Theresa May avait "échoué", qu'elle n'avait "plus d'excuses pour repousser le vote" et qu'il était inacceptable de le faire une nouvelle fois. "La situation actuelle est bloquée", résume Daniel Ruff. Et c'est bien ce blocage qui, pour le spécialiste, explique que l'hypothèse d'un second référendum fasse son chemin.

Trois options. En réalité, Theresa May a trois options. Elle peut essayer de renégocier l'accord pour le rendre plus acceptable aux yeux de son Parlement. C'est d'ailleurs ce qu'elle a tenté de faire les 13 et 14 décembre derniers, lors d'un Conseil européen. En vain. Autre possibilité : accepter l'idée que le Royaume-Uni sorte de l'Union européenne sans accord. Mais ce "no deal" poserait un grand nombre de difficultés économiques, sociales et géopolitiques. Reste alors le second référendum. La majorité des députés n'y est pas favorable, mais l'idée d'une sortie sans accord leur semble encore plus effrayante.

Theresa May a pourtant bien essayé de les dissuader. "Ne rompons pas la confiance du peuple britannique en essayant d'organiser un nouveau référendum", a-t-elle dit lundi devant les députés. "Il ne nous avancerait probablement pas plus" et "diviserait encore notre pays au moment même où nous travaillons pour l'unir". Pour la Première ministre britannique, ce nouveau scrutin "entraînerait des dégâts irréparables pour l'intégrité de notre vie politique".

 

Soutien populaire. Mais la majorité des Britanniques ne sont pas du même avis. Dans un sondage de Sky Data poll publié lundi, 53% d'entre eux se disent favorables à un second référendum, 36% sont contre. Si cela venait à se produire, une majorité voterait pour rester dans l'UE. La semaine dernière, les rues de Londres ont donc vu défiler quelques dizaines de manifestants optimistes, portant des pancartes "Stop Brexit" ou encore "Brexit, is it worth it?" (le Brexit vaut-il le coup?). (

Une sortie unilatérale envisageable. Par ailleurs, la possibilité d'un second référendum a été renforcée par une décision de la Cour européenne de justice. Le 14 novembre dernier, celle-ci a estimé que si le Royaume-Uni venait à décider de rester dans l'Union européenne, il pourrait le faire sans que l'UE n'ait son mot à dire.

 

Des obstacles encore difficilement surmontables. Mais la tenue d'un second référendum pose aussi bien des difficultés. Tout d'abord, le délai. Préparer un tel scrutin prend du temps : 22 semaines entre la décision de l'organiser et le vote lui-même, selon des estimations. Même s'il était enclenché aujourd'hui, l'échéance du 29 mars 2019, date à laquelle le Royaume-Uni ne fera officiellement plus partie de l'UE, serait donc largement dépassée. De plus, la question posée au peuple britannique sera difficile à trouver. Elle devrait être binaire mais ne peut pas être la même que celle posée en 2016, selon Daniel Ruff, qui égrène plusieurs possibilités : "Souhaitez-vous revenir à la situation d'avant le premier vote ? Souhaitez-vous sortir de l'UE sous certaines conditions ? Etes-vous pour l'accord trouvé entre le Royaume-Uni et l'UE ? Souhaitez-vous abandonner l'idée du Brexit ?"

En outre, ce référendum ne peut être organisé que si le Parlement ne vote pas l'accord conclu avec l'UE. Même si les députés britanniques en sont encore loin, aucune manœuvre ne peut être effectuée par les anti-Brexit jusqu'à la semaine du 14 janvier. Alors, seulement, une décision pourra être prise et la question d'un second référendum se posera sérieusement.