L'ex-chef du FBI auditionné sur son limogeage par Trump : comment on en est arrivé là

James Comey, Donald Trump crédit : SAUL LOEB, NICHOLAS KAMM / AFP - 1280
Michael Flynn devrait confirmer la tentative de Donald Trump de faire étouffer l'enquête visant son ancien conseiller à la sécurité nationale © SAUL LOEB, NICHOLAS KAMM / AFP
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Marthe Ronteix , modifié à
James Comey, l'ancien chef du FBI limogé par Donald Trump témoigne jeudi lors d'une audience publique qui pourrait potentiellement mener le président Donald Trump à la destitution.

L'affaire des soupçons de collusion entre l'équipe de campagne de Donald Trump et les services russes devrait connaître jeudi un tournant avec le témoignage devant le Congrès de James Comey. L'ancien chef du FBI devrait y confirmer les pressions exercées sur lui par le président américain pour lui faire abandonner toute enquête sur les contacts entre Michael Flynn, ancien conseiller à la sécurité nationale. Retour en cinq actes sur cette affaire digne du scandale du Watergate.

Acte 1 : un piratage informatique imputé aux Russes

Tout commence en octobre 2016 avec des soupçons de piratage informatique russe susceptibles d'influencer l'élection présidentielle américaine en faveur de Donald Trump, avant même le scrutin. À la suite de ces révélations, le président Obama, encore en exercice, demande un rapport complet sur la question à la CIA et expulse 35 diplomates russes du sol américain comme sanction.

Dès décembre 2017, soit un mois après l'élection de Donald Trump face à Hillary Clinton, la presse américaine publie les résultats de cette enquête. "La communauté du renseignement estime que l'objectif de la Russie était de favoriser un candidat par rapport à un autre, d'aider Trump à être élu", selon un responsable du rapport. Des proches de Moscou auraient transmis à WikiLeaks des emails piratés de la messagerie de l'ancien directeur de campagne de la candidate démocrate.

Il ne s'agit alors plus de piratage informatique mais de collusion entre l'équipe de campagne de Donald Trump et des responsables des services de renseignements russes. Quatre commissions d'enquêtes parlementaires sont ouvertes au Sénat ainsi qu'une enquête du FBI. Des responsables américains dévoileront par la suite que l'équipe de campagne de Donald Trump a eu 18 contacts avec des proches du Kremlin d'octobre à novembre 2016, soit juste avant l'élection du candidat Républicain. Parmi les proches de Donald Trump impliqués se trouve Michael Flynn, conseiller à sécurité nationale.

Acte 2 : la démission de Michael Flynn

En février dernier, soit trois semaines après la prise de fonction de Donald Trump, l'un de ses plus proches conseillers jette l'éponge. Dans sa lettre de démission, Michael Flynn reconnaît avoir "par inadvertance trompé le vice-président élu (Mike Pence) et d'autres personnes avec des informations incomplètes sur (ses) discussions téléphoniques avec l'ambassadeur de Russie".

En effet, alors que le président Obama prenait des sanctions entre la Russie dans le cadre des soupçons d'ingérence dans l'élection américaine, Michael Flynn aurait assuré par téléphone à l'ambassadeur russe que Donald Trump, déjà élu, serait beaucoup moins sévère. Une conversation illégale car une loi interdit à des personnes privées de mener une diplomatie parallèle. Des propos qu'il avait, de plus, omis de mentionner lorsqu'il avait rapporté le contenu de cette conversation au futur vice-président. Michael Flynn faisait alors l'objet d'une enquête du FBI et dont il avait informé le président.

Acte 3 : le limogeage surprise du patron du FBI

Début mai 2017, James Comey, le patron du FBI, est "remercié" par Donald Trump. Officiellement, le président lui demande de mettre fin à ses fonctions pour sa gestion de l'affaire des emails piratés d'Hillary Clinton au cours de la campagne. Il lui reproche d'avoir dévoilé à la presse certains détails de l'affaire, la mettant en mauvaise posture pour l'élection.

En réalité, James Comey aurait été limogé après avoir refusé de transmettre à la Maison-Blanche des éléments du témoignage qu'il prévoyait de faire devant la commission judiciaire du Sénat concernant l'affaire des emails d'Hillary Clinton. Un refus considéré comme un acte d'insubordination. "Cela donnait l'impression qu'il n'était plus capable de d'accomplir ses devoirs", confie un responsable de la Maison-Blanche.

Par ailleurs, Trump aurait fait pression sur James Comey dès le mois de février pour qu'il abandonne son enquête sur Michael Flynn, d'après une note dont le New York Times a eu connaissance. "J'espère que vous pourrez juger bon de laisser passer cela, de laisser Flynn. C'est un bon gars", aurait déclaré le président au patron du FBI. Des propos que James Comey devrait confirmer lors de son audition publique devant le Congrès jeudi à 16 heures (heure de Paris).

Acte 4 : le témoignage explosif de James Comey devant le Congrès

Dans une déclaration écrite adressée au Congrès mercredi, l'ancien agent des renseignements raconte deux conversations qu'il a eues avec le président américain. En janvier dernier, celui-ci lui aurait répété à plusieurs reprises au cours d'un dîner à la Maison-Blanche qu'il attendait de la loyauté. Et le 14 février, c'est lors d'un tête-à-tête dans le bureau ovale que Donald Trump aurait évoqué l'enquête visant les  "fausses déclarations de Michael Flynn concernant ses conversations avec l'ambassadeur russe en décembre". Des propos que l'ex-directeur du FBI avait soigneusement consignés dans des mémos non-classifiés. Par cette simple demande, Donald Trump se serait rendu coupable d'obstruction à la justice.

Bien qu'il nie toute intervention auprès du FBI et toute collusion avec la Russie, Donald Trump a annoncé trois jours avant l'audience de James Comey qu'il ne l'empêcherait pas de témoigner publiquement, bien qu'il en ait le droit, "afin de faciliter un examen rapide et rigoureux des faits par la commission du Renseignement du Sénat", a affirmé la Maison-Blanche

Acte 5 : le sort possible de Donald Trump

Si les preuves d'une tentative d'obstruction sont apportées lors de l'audition de James Comey, elles pourraient justifier une procédure de destitution du président, le fameux impeachment. D'ailleurs Al Green, représentant démocrate du Texas, prévoit même de se charger de la lancer. “À un certain moment, si personne d’autre ne le fait, je soumettrai les articles nécessaires pour entamer officiellement une procédure de destitution contre le président Donald J. Trump”, a-t-il déclaré auprès d'Euronews.

Si cette procédure est envisageable en théorie, sa mise en route est plus complexe. Car "comme ce processus est mené entièrement par les deux chambres du Congrès, il dépendra de la volonté politique des élus", a expliqué au quotidien Libération Bruce Ackerman, professeur de droit à l'Université de Yale. Mais pour le moment, le Congrès majoritairement républicain ne serait pas prêt à "saborder [son] allié à la Maison-Blanche". De plus il s'agit d'une démarche longue et complexe qui nécessite des preuves solides pour mener à un procès du président devant le Sénat. La procédure ne pourra donc être éventuellement lancée qu'après l'aboutissement de l'enquête du procureur indépendant et de celle de la commission du Congrès.

 

Dans l'histoire des États-Unis, seules trois procédures d'impeachment ont été enclenchées contre Andrew Johnson en 1868, Richard Nixon en 1974, et Bill Clinton en 1998, au moment de l'affaire Monica Lewinsky. Aucune n'est allée à son terme et n'a contraint le président visé à quitter son poste. Cet impeachment reste pour le moment au rang d'option concernant le président Trump.