Covid-19 : pourquoi les campagnes de vaccination débutent lentement en Afrique

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Dans un centre de vaccination à Durban, en Afrique du Sud. © MLUNGIS MBELE / AFP
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Margot Chevance, Patricia Huon et Charlotte Simonart édité par Léa Leostic , modifié à
Les campagnes de vaccination contre le Covid-19 peinent à démarrer en Afrique car les différents pays font face à des obstacles très variés : la lutte contre le variant, le scepticisme de la population, la popularité de la médecine traditionnelle ou encore la difficulté de conservation de certains vaccins.
DÉCRYPTAGE

La vaccination contre le Covid-19 commence timidement en Afrique. Le continent, touché par une deuxième vague de contaminations plus agressive que la première, peine à percevoir la réalité de l’épidémie et reste méfiant vis-à-vis des remèdes proposés par l’Occident. Les spécialistes estiment que l’Afrique aura besoin de 1,5 milliard de doses pour vacciner 60% de sa population et atteindre l’immunité collective. Beaucoup comptent notamment sur le dispositif COVAX mis en place par l’Organisation mondiale de la santé (l’OMS) et l’Alliance internationale pour les vaccins. Cette initiative est censée permettre de vacciner 20% des personnes les plus vulnérables dans le monde.

La médecine traditionnelle souvent privilégiée 

Les contrats pour recevoir les vaccins sont passés mais les doses tardent à arriver sur le continent. Car les pays les plus riches ont accaparé les premières productions de vaccins, en commandant parfois de quoi vacciner plus de trois fois leur population. Et en Afrique, la situation est très différente selon les pays. Au Sénégal, la vaccination a doucement commencé mardi grâce à 200.000 doses du vaccin chinois Sinopharm. Le Sénégal fait face depuis fin novembre à une hausse des cas de Covid-19 : le virus a fait plus de 800 morts. La vaccination ne fait pas pour autant l’unanimité dans le pays. Beaucoup de Sénégalais continuent de nier l’existence du coronavirus et ne se protègent pas.

Les Sénégalais se tournent aussi plus facilement vers la médecine traditionnelle, notamment à base de plantes médicinales. A l’hôpital traditionnel de Keur Massar, situé dans la banlieue de Dakar, des tradipraticiens, et non des médecins, ont mis en place un protocole préventif contre le Covid-19 en mélangeant des plantes médicinales. "Ce sont des feuilles de bambou qu’on utilise dans une tisane contre les affections pulmonaires", décrit Moussa Diallo dans l'un des laboratoires de l’hôpital où l’on ne soigne qu’avec des plantes médicinales depuis 40 ans.

"On a de la lotion antiseptique pour vraiment désinfecter les mains ou encore une pommade à introduire dans les narines pour éviter de respirer certaines particules. Cela fait des miracles, ça donne des résultats ! Il y a des patients avec vraiment une nette amélioration de leurs symptômes", poursuit-il. Au total, sept produits naturels, tous récoltés dans le jardin de l’hôpital, sont utilisés pour prévenir le coronavirus et renforcer le système immunitaire des patients. Les produits peuvent aussi se présenter sous forme de bains de bouche ou de poudres.

Des patients qui arrivent trop tard à l'hôpital

"Il ne faut pas déconsidérer les produits à base de plantes car c’est ainsi que l’on a découvert les antibiotiques et beaucoup d’autres médicaments qui sont ensuite produits de façon industrielle. Mais il s’agit de connaissances qui ont été acquises sur le long terme. Or, dans le cas du Covid, c’est une maladie apparue très récemment pour laquelle il n’y a aucun recul", pose d’abord Elisabeth Carniel, directrice de l’Institut Pasteur au Cameroun et invitée au micro d’Europe 1.

"La tendance est de dire que tout est bon contre le Covid, chacun y va de sa médecine propre, sans aucune preuve démontrée. Nous sommes face à des tonnes de médicaments qui sont proposés. Lesquels sont bons ? Certains sont actifs pour stimuler l’immunité naturelle qui peut aider à lutter contre le coronavirus, mais il n’y a rien de tangible ! Le problème, c’est que nous voyons des décès dus à des personnes qui arrivent à l’hôpital à un stade trop avancé, et où il n’est plus possible de les sauver parce qu’elles se sont traitées avec des médecines traditionnelles", alerte Elisabeth Carniel.

L’intérêt du vaccin difficile à expliquer

A l’hôpital traditionnel de Keur Massar, le vaccin contre le Covid ne fait cependant l’objet d’aucun tabou. Pour Djibril Ba, son directeur, se faire vacciner n’est en rien contraire aux soins pratiqués dans cet hôpital : "le vaccin, c’est essayer de stimuler l’immunité de la personne contre une maladie déterminée. C’est ce que nous faisons aussi ! Nous privilégions de stimuler les organismes pour ne pas développer le Covid. Mon opinion, c’est que personnellement tout le monde devrait se vacciner ou alors personne ne se vaccine. Car ça ne sert à rien qu’un groupe se vaccine et l’autre non !", développe-t-il au micro d’Europe 1.

Au Sénégal, le débat fait rage entre les pro et les anti-vaccins. Dans l’Est du pays, alors que la fièvre jaune a refait surface, les populations refusent qu’on les vaccine par peur que les doses utilisées soient en réalité celles contre le coronavirus. Et expliquer l’intérêt du vaccin à la population n’est pas toujours aisé selon Elisabeth Carniel. "Le Covid n’a pas touché l’Afrique avec la même force que l’Europe ou l’Amérique, donc la perception du risque est beaucoup plus faible. Le taux de mortalité est encore relativement bas mais on n’est pas à l’abri d’un réveil. Beaucoup de formes sont asymptomatiques ce qui fait que le risque est beaucoup moins bien perçu, au point que certains disent même qu’il y en a pas. Cela rend la vaccination encore plus difficile car la population n’en voit pas l’intérêt", explique-t-elle.

Cette défiance a poussé les autorités à appeler les chefs religieux, notamment les marabouts des confréries musulmanes, des figures très influentes, à la rescousse pour sensibiliser la population dans chaque quartier, chaque village. 

En Afrique du Sud, des vaccins commandés puis jugés inefficaces

En Afrique du Sud, les autorités sont confrontées à des enjeux différents. Le pays comptabilise un peu plus d’un million de cas de Covid-19 et près de 50.000 morts, et les débuts de la vaccination sont chaotiques. D’abord critiqué pour son inaction et sa lenteur à lancer la campagne, le gouvernement sud-africain a alors acheté 1,5 million de doses du vaccin au prix fort –plus de quatre euros la dose soit trois fois plus que le prix payé par l’Union européenne- auprès d'un laboratoire indien. Un million de ces doses ont été livrées le 1er février, et réceptionnées en grande pompes à l’aéroport de Johannesburg.

Mais moins d’une semaine plus tard, alors que la campagne de vaccination devait commencer, les autorités ont été contraintes d’annoncer sa suspension. Les résultats d’un essai clinique sur le vaccin AstraZeneca ont été divulgués et il s'est révélé peu efficace contre les symptômes légers et modérés des cas de Covid-19 liés au nouveau variant identifié en Afrique du Sud. Ce variant, qui représente désormais 90% des infections dans le pays, a tout chamboulé.

Depuis, le gouvernement sud-africain tente de trouver un débouché pour ce stock encombrant d’un million de doses AstraZeneca qui expirent au mois d’avril, et veut débuter sa campagne avec le nouveau vaccin du laboratoire Johnson & Johnson. L’Afrique du Sud est d’ailleurs le premier pays au monde à utiliser ce vaccin. 

Trop peu de doses pour le personnel soignant

Le laboratoire américain a cédé 500.000 doses appartenant à un stock de recherches à l’Afrique du Sud, et la première livraison – 80.000 doses - est arrivée la semaine dernière. Elles servent actuellement à vacciner en priorité les travailleurs du domaine de la santé. Quelque 80.000 doses supplémentaires doivent arriver d’ici à dimanche, mais cela reste encore très loin du compte puisque le pays compte un peu plus d’un million de travailleurs sanitaires. L’objectif du pays est toujours d’immuniser les deux-tiers de la population totale de 59 millions d’habitants d’ici la fin de l’année 2021.

Le vaccin Johnson & Johnson s’administre en une seule dose. Le laboratoire a mené en Afrique du Sud un essai à grande échelle dans lequel un tiers des participants avaient plus de 65 ans, donc des personnes à risque. Cet essai a montré que le vaccin était efficace à 85 % pour prévenir les formes graves de Covid-19. Or, c’est ici le plus important : freiner les décès et le nombre d’hospitalisations. 

Le gouvernement sud-africain obligé de changer de stratégie

Le pays subit une violente deuxième vague d’infections. Les hôpitaux sont saturés, la population sud-africaine est traumatisée et craint une troisième vague prochainement. Donc si la méfiance d’une partie de la population demeure face aux vaccins, beaucoup veulent y avoir accès, ce qui a obligé les autorités à revoir leur stratégie.

Le gouvernement sud-africain avait d’abord plaidé pour une stratégie commune pour commander les vaccins et avait qualifié de "nationalisme vaccinal" les négociations directes des pays avec les laboratoires. Mais il a dû changer de cap et l’Afrique du Sud a finalement commandé neuf millions de nouvelles doses Johnson & Johnson, mais aussi 20 millions de doses du vaccin Pfizer. Des négociations avec d’autres laboratoires, notamment chinois et russes, sont également en cours. La stratégie du pays est de diversifier son portefeuille de vaccins, en fonction des disponibilités et de l’efficacité face aux variants présents sur le territoire.

"Certains vaccins sont quasiment éliminés d’office"

Mais selon Elisabeth Carniel, directrice de l’Institut Pasteur au Cameroun, les pays africains doivent aussi prendre en compte d’autres paramètres. "Le choix de vaccin contre le Covid est difficile car on ne peut pas prendre en compte que la partie efficacité et innocuité, même si ce sont deux éléments essentiels. En Afrique, il y a toutes les considérations pratiques comme la température de conservation. Les vaccins Moderna et BioNTech/Pfizer doivent se conserver à très basse température et c’est quasiment rédhibitoire pour un grand nombre de pays."

Les vaccins qui nécessitent deux injections sont aussi parfois compliqués à utiliser sur certains terrains. "Un vaccin qui peut s’administrer en une dose comme le Johnson & Johnson est beaucoup plus intéressant en Afrique, que ceux à deux doses à deux mois d’intervalles, pour lesquels ça devient très compliqué. C’est une autre considération à prendre en compte", continue Elisabeth Carniel, avant d’ajouter : "certains vaccins sont quasiment éliminés d’office dans beaucoup de pays d’Afrique."

Le Kenya, future base logistique de la campagne vaccinale africaine ?

Le Kenya pourrait jouer un rôle logistique central dans la vaccination en Afrique pour une raison inattendue : l’industrie des roses. Car le pays est le royaume des fleurs coupées. Entre huit et 13 cargos partent chaque jour de l’aéroport de Nairobi, notamment en direction l’Europe. L’idée serait que, prochainement, ils reviennent au Kenya chargés de vaccins. Ces cargos seraient en effet adaptés au transport des doses vaccinales, puisque les produits Sinopharm, AstraZeneca et Johnson & Johnson exigent une conservation entre 2 et 8 degrés, exactement comme les fleurs.

Nairobi se propose donc pour devenir un hub sur le continent pour aller chercher les vaccins où ils sont fabriqués et les acheminer vers l’Afrique. La capitale kenyane est déjà un pôle aérien important sur le continent, reliant la plupart des capitales africaines, et Kenya Airways défend cette position auprès de l’OMS. La compagnie kenyane est au plus mal financièrement, faute de passagers depuis le début de la pandémie. Ses dirigeants misent donc tout sur le cargo pour sauver l’entreprise. Ils ont même décidé de transformer des avions qui transportent en général des passagers en cargo réfrigéré pour agrandir leur flotte et participer à l’objectif de l’OMS de vacciner 20% de la population africaine d’ici à la fin de l’année.

Il ne manque donc plus que les vaccins pour se lancer. Car le pays attend toujours les quatre millions de doses dont la livraison était annoncée pour fin février, sans date plus précise. Au total, le Kenya a commandé 24 millions de doses via le dispositif Covax et s’est donné pour objectif de vacciner un tiers de sa population d’ici à 2022, soit environ 16 millions de personnes.