Les plages du pays sont désertes, faute de touristes. 7:36
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Carol Isoux, édité par Antoine Terrel , modifié à
En Thaïlande, d'ordinaire très prisée des voyageurs, la pandémie de coronavirus a vidé le pays de ses touristes, et le secteur touristique ne sait pas encore s'il se relèvera de cette crise inédite. Mais cette période compliquée a toutefois permis le développement du tourisme domestique, tandis que certains appellent à rompre avec le tourisme de masse. 
REPORTAGE

C'est un paradis touristique qui semble aujourd'hui bien vide. Alors que la Thaïlande reçoit d'ordinaire jusqu’à 40 millions de touristes par an, la pandémie de coronavirus et la mise en place de confinements tout autour du monde ont vidé le pays de ses visiteurs. Dans le sud du pays, les îles normalement bondées sont désertes. Une situation qui bouleverse sévèrement le secteur du tourisme, qui ignore encore s'il pourra totalement se relever de cette crise. Mais en attendant le retour des étrangers, les voyages domestiques se développent, tandis que de plus en plus de voix appellent le pays à profiter de cette période inédite pour repenser son modèle touristique. 

Des eaux turquoise et du sable blanc... Sur l’île de Ko Samui, la plage de Chaweng est encore plus belle que d’habitude. En l’absence de touriste, la nature respire, et les poissons s’approchent du rivage, du jamais vu depuis des décennies dans cette île normalement prise d’assaut pendant l’hiver européen, qui ressemble aujourd'hui à une île déserte. La plupart des employés des hôtels sont rentrés chez eux, dans leurs villages du Nord ou en Birmanie. Et pour ceux qui restent, en l’absence d’aide du gouvernement, c’est la débrouille pour trouver chaque jour de quoi manger. Ainsi, tôt le matin, des femmes, protégées par de grands chapeaux s’enfoncent dans l’eau jusqu’aux genoux, pour pêcher. "Avant, j’étais femme de ménage dans un hôtel, mais il a fermé", témoigne l'une d'entre elles au micro d'Europe 1. "C’est difficile. Je viens là le matin pour essayer d’attraper quelques poissons. Si j’en attrape assez, je peux même en vendre", poursuit-elle. Ceux qui disposent d’un petit lopin de terre se sont mis, eux, à planter des légumes.

"Sans les touristes, on ne peut pas survivre"

Partout, les rues sont vides et les magasins fermés comme dans une ville-fantôme. Beaucoup de ces commerçants qui vivaient exclusivement du tourisme craignent que l’île ne se remette jamais de cette crise. "On est le seul bar ouvert sur la plage. Avant, il y en avait des milliers. Tout le long de la plage, ce ne sont que des hôtels, et là, ils sont tous fermés", montre Pikchai, le jeune propriétaire d’un bar de plage. "Je ne pense pas qu’on pourra tenir si on doit vivre ça pendant encore un an. Sans les touristes ici, on ne peut pas survivre", prévient-il. 

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© Carol Isoux

Car pendant 7 mois, la Thaïlande a fermé ses frontières aux touristes. Elle vient de les rouvrir, mais avec des conditions très contraignantes, parmi lesquelles l’obligation d’une quatorzaine très coûteuse dans un hôtel avant de pouvoir se déplacer sous contrôle. Et pour l’instant, seuls quelques ressortissants chinois ont répondu à l’appel. 

Le développement du tourisme domestique

En attendant le retour des touristes étrangers, le gouvernement a mis en place des campagnes promotionnelles pour encourager le tourisme domestique. Et dans certaines villes, ça marche ! Même à Bangkok, certains quartiers renaissent grâce à la venue de nouveaux visiteurs thaïlandais. Près de la rivière, l’ancien quartier des ferrailleurs, avec ses maisons sur pilotis et ses carcasses de voitures, fait désormais fureur auprès de la jeunesse. Khun Lek, qui y tient depuis des décennies une petite épicerie désormais très photographiée, n’est pas encore habituée à être devenue une attraction touristique. "Avant, on était inondé tout le temps, personne ne venait par ici, mais on est devenu à la mode", s'étonne-t-elle. "Ce sont des jeunes, des étudiants, qui viennent se prendre en photo devant les vieilles maisons ou les tas de ferraille."

Dans d’autres quartiers, certains temples auparavant très visités retrouvent leur aura sacrée, les fidèles revenant y prier et y méditer en paix. Les Thaïlandais se réapproprient les lieux qui avaient été confisqués par le tourisme de masse. Pour Niki, étudiante en marketing, c’est aussi l'occasion de redécouvrir l’histoire de la ville. "C’est beau de découvrir nos anciens quartiers, de comprendre comment les choses ont changé (...) En ce moment il y a plein de monde, parce qu’on ne peut aller nulle part, donc on est devenus des touristes dans notre propre ville", s'enthousiasme la jeune femme. 

Faut-il en finir avec le tourisme de masse ? 

Aujourd'hui, notamment du côté des associations écologistes ou des groupes de pêcheurs, mais aussi chez de simples citoyens, des voix appellent à réfléchir à un autre modèle économique pour la Thaïlande que celui du tourisme de masse, avec un modèle moins dépendant de l’étranger et plus respectueux de l’environnement. Mais dans la crise que traverse aujourd’hui le pays, ces voix restent largement minoritaires. Et chez les professionnels du secteur de l’hôtellerie, de la restauration, mais aussi les commerçants qui vivaient de la manne touristique, on refuse bien sûr d'entendre parler de restrictions du tourisme ou d’un changement de modèle.

Reste que les professionnels du tourisme s’accordent pour annoncer des changements majeurs. Beaucoup d’opérateurs ne vont pas survivre à la crise, et on pourrait ainsi assister à une concentration du secteur entre quelques mains, ainsi qu'à une évolution des types de voyages les plus demandés. 

"Les deux segments qui vont exploser, à mon avis, ce sont le voyage de luxe, parce que les gens qui ont de l’argent peuvent se permettre de payer pour des voyages privés, des avions privés, des voitures particulières pour circuler, pour rester en sécurité dans leur petite bulle, ainsi que le secteur aventure, qui, en général, concerne des gens plus jeunes, plus audacieux, qui ont moins peur de prendre des risques, veulent sortir des circuits de masse, et privilégient des destinations plus nature, en extérieur", explique Kim Rasmussen, qui dirige une agence de voyage à Bangkok.

Si ces tendances se confirmaient, ce serait là encore un casse-tête pour l’Asie du Sud Est en général, car elle avait bâti son succès sur les voyageurs à budget modéré. Et changer de cible de clientèle nécessiterait des investissements très importants.