Brexit : pourquoi la journée de mardi s'annonce cruciale pour l'avenir du Royaume-Uni

À 17 jours du Brexit, Westminster se prononce pour la seconde fois sur l'accord négocié par Theresa May.
À 17 jours du Brexit, Westminster se prononce pour la seconde fois sur l'accord négocié par Theresa May. © Reuters
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Anaïs Cordoba et Romain David, avec AFP
La Première ministre britannique pense avoir obtenu auprès de Bruxelles les garanties nécessaires pour faire adopter mardi l'accord de Brexit par Westminster, à quelques jours seulement de la date officielle du retrait. Le sujet, toutefois, continue de diviser la société britannique jusqu'au sein des familles.
ON DÉCRYPTE

Le moment de vérité approche au Royaume-Uni : à seulement 17 jours du Brexit, les députés britanniques se prononcent mardi sur l'accord de divorce avec l'Union européenne. Les élus partisans du Brexit sont face à un dilemme : soutenir l'accord conclu avec Bruxelles par la Première ministre Theresa May - qu'ils jugent insatisfaisant - ou le rejeter, au risque de voir le Brexit ne jamais se produire ?

Pour eux, le traité de retrait de l'Union européenne, qui est représenté au vote après un rejet massif du texte mi-janvier, fera du Royaume-Uni un état vassal de l'Union européenne. Theresa May assure avoir obtenu de Bruxelles des "changements légalement contraignants". Mais ces nouvelles assurances ne semblent pas suffisantes pour apaiser les divisions des députés. On vous explique pourquoi.

Que reproche le parlement britannique à l'accord ?

En janvier, l'accord de Brexit avait été rejeté par 432 députés sur 634 votants. Les élus d'outre-Manche favorables au retrait s'étaient surtout agacés du maintien provisoire du Royaume-Uni dans une union douanière européenne, synonyme d'obligation de continuer à appliquer des réglementations dictées par Bruxelles. Ce compromis, baptisé "filet de sécurité", a été adopté en attendant de trouver une solution pérenne pour éviter le retour d'une frontière physique entre les deux Irlande : la république d'Irlande, qui restera dans l'UE, et la province britannique d'Irlande du Nord, qui en sortira avec le reste du Royaume-Uni.

John Longworth, co-président du mouvement Leave Means Leave ("Sortir signifie sortir"), a estimé que cette clause constituait une "humiliation" pour le Royaume-Uni, lundi, lors d'une réunion du centre de réflexion eurosceptique Bruges Group, près du Parlement. Les partisans d'un Brexit dur y ont affiché leur préférence sous les cris enthousiastes du public : "un divorce sans accord".

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Quelles sont les garanties obtenues par Theresa May ? 

La dirigeante conservatrice s'est rendue lundi soir à Strasbourg, où siège cette semaine le Parlement européen, pour rencontrer les responsables européens dans une tentative de sauvetage de l'accord de divorce. Les deux parties ont annoncé des "changements légalement contraignants" à l'accord, avec l'espoir qu'il obtienne enfin l'assentiment des députés britanniques.

Ces changements concernent précisément le "filet de sécurité". "Un instrument conjoint avec un poids juridique comparable à l'accord de retrait [sur le Brexit, ndlr] va garantir que l'Union européenne ne puisse pas agir avec l'intention de mettre en œuvre le filet de sécurité indéfiniment", a déclaré Theresa May, lors d'une conférence de presse avec le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker.

Que se passera-t-il si l'accord est encore refusé par les députés britanniques ?

Si l'accord devait être rejeté, les députés voteront mercredi sur la possibilité de sortir de l'UE sans accord, un scénario redouté par les milieux économiques. Si cette option est exclue, le Parlement votera à nouveau jeudi sur une proposition de report "limité" du Brexit. Les 27 devront toutefois donner leur accord à l'unanimité et les dirigeants européens ont prévenu que toute demande en ce sens devrait être dûment justifiée.

Quelles sont les arguments des partisans d'une sortie sans accord ?

Peu importent les prédictions les plus noires des économistes et les mises en garde des milieux d'affaires en cas de retour de droits de douanes et de contrôles aux frontières avec les 27, Jacob Rees-Mogg, le patron du groupe de députés conservateurs eurosceptiques ERG, qui revendique entre 60 et 80 membres, estime qu'un "no deal" donnerait un coup de fouet à l'économie du pays.

Nick Cohen, éditorialiste au journal dominical The Observer, voit une logique très politique dans l'attitude de l'ERG. "Ils n'ont jamais caché que leur ambition était de revenir sur la protection sociale des travailleurs", écrivait-il en décembre. "Quitter l'UE peut concrétiser leur rêve", ajoutait-il, rappelant que David Davis, ex-ministre chargé du Brexit, avait vanté en 2016 la possibilité pour un Royaume-Uni indépendant de l'UE de lui faire concurrence en offrant "des impôts plus bas, une régulation plus souple et d'autres incitations fortes". Leur rêve ultime : utiliser le Brexit pour faire du Royaume-Uni un Singapour bis, afin de capter les investissements directs étrangers. 

Jusqu'ici, l'ERG ne s'est pas laissé impressionné par les mises en garde de Theresa May sur la possibilité que le rejet de l'accord finisse par retarder la date du Brexit, prévu le 29 mars, de quelques semaines voire quelques années. Ou qu'il n'ait finalement pas lieu du tout si les europhiles arrivent à obtenir l'organisation d'une nouvelle consultation des Britanniques qui pourraient changer d'avis.             

Deux ans après le référendum, quelle est la position des citoyens britanniques sur le Brexit ?

Cette semaine parlementaire chaotique est aussi à l'image des divisions qui fracturent le société britannique depuis le référendum sur le Brexit en juin 2016, qui a décidé de mettre fin à 46 ans d'un mariage houleux avec l'UE. Environ la moitié des électeurs pense qu'un divorce permettra à l'ancien empire de restaurer sa gloire en concluant ses propres accords commerciaux. L'autre moitié des électeurs se sent intrinsèquement européenne, est ouverte à l'immigration et redoute les conséquences d'une rupture des liens avec le plus grand partenaire commercial du Royaume-Uni.

Brexiter de la première heure, Elisa milite devant le parlement plusieurs fois par semaine avec un petit groupe d’activistes. Elle réclame un Brexit dur et une sortie sans accord, une opinion irréconciliable avec celle de son fils de 24 ans qui fait activement campagne pour un second référendum. "Nous avions l’habitude de manger en famille mais nous ne le faisons plus car n’importe quelle conversation nous ramène au Brexit, donc ça ne sert à rien", explique cette mère de famille qui ne parle quasiment plus à son fils depuis deux ans. "Cela m’affecte mais je ne vais pas changer d’avis. Le Brexit est un sujet fondamental, c’est de la démocratie qu’il s’agit, et lui ne comprend pas la valeur suprême de la démocratie", assure-t-elle.

Pour Alan et son épouse c’est aussi une question de valeurs, viscéralement pro-européens, ils ont coupé tout contact avec un couple d’amis de plusieurs années qui avait voté pour le Brexit . "Ça me rend triste mais je suis surtout en colère. Nous sommes tellement en désaccord avec les raisons du vote en faveur du Brexit, que nous avons réalisé que nos manières de voir le monde différaient complètement de celles de ce couple", explique-t-il. "Nous ne pouvions plus dépasser le fait qu’ils aient voté Brexit, autrement c’est comme si nous soutenions leur choix implicitement."