Brexit : le glas d’un "Royaume-désuni" ?

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Dans les prochaines années, la composition du Royaume-Uni pourrait être bouleversée. © Niklas HALLE'N / AFP
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Romain David , modifié à
L’Angleterre a voté dans sa grande majorité pour le "out", mais de nombreux territoires du Royaume-Uni espéraient rester dans l’Union européenne.

Alors que le "leave" (retrait) l’a emporté jeudi à 51,9%, le détail du vote sur le maintien, ou non, du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne révèle de fortes disparités entre les différents territoires de la couronne. Ainsi, les pro-UE l’ont emporté à 55,8 % en Irlande du Nord, à 60% à Londres, à 62% en Ecosse, et à plus de 95% à Gibraltar. Dès l’annonce de ces résultats, plusieurs responsables politiques ont remis en question la place de certaines de ces régions au sein du Royaume.

Interrogé par Europe 1, Vivien Pertusot, responsable de l’Institut français des relations internationale (IFRI) à Bruxelles, n'en doute pas : "Le Royaume-Uni tel qu’on le connaît aujourd’hui n’existera plus dans dix ans".

Un nouveau référendum en Ecosse ? Vendredi matin, l’Ecosse agitait déjà la menace d’un départ. "La possibilité d'un second référendum doit être sur la table et elle est sur la table", a déclaré Nicola Sturgeon, Première ministre du pays et chef du Parti national écossais (SNP). En septembre 2014, un précédent référendum sur l’indépendance écossaise avait été remporté par le camp du maintien à 55%. Mais le Brexit pourrait désormais faire basculer une Ecosse largement europhile : "S’il y a un nouveau référendum sur l’indépendance, il est probable que cette fois le oui l’emporte", estime auprès d'Europe 1 Philippe Moreau Defarges, politologue spécialiste de la construction européenne à l’IFRI.

Ce scénario mettrait brutalement fin à plus de quatre siècles d’histoire commune ; en 1603, Elisabeth Ier d’Angleterre, la "reine vierge", meurt sans héritier et le trône échoit à un lointain cousin, Jacques VI, roi d’Ecosse. Un épisode connu comme l’ "Union des Couronnes". Mais la rupture "ne sera pas pour tout de suite", nuance Vivien Pertusot. "Pour que ces démarches puissent aboutir, Westminster (le parlement britannique, ndlr) doit donner son aval, or il leur sera difficile, au moins pour les trois prochaines années, de gérer à la fois une sortie de l’UE et un départ de l’Ecosse."

Gibraltar sous pavillon espagnol ? Pour ce spécialiste, "le Brexit va certainement relancer des débats très forts sur la gouvernance de Gibraltar, avant même que ne soit soulevé les questions écossaises et nord-irlandaises." Cette enclave de 7km² au sud de l’Espagne, qui a voté jeudi massivement pour un maintien au sein de l’UE, est britannique depuis 1713. Surtout, elle est un symbole fort pour la Grande-Bretagne ; l’un des derniers vestiges en Europe continentale d’une époque où l’Empire britannique dominait les routes maritimes du globe. Or, l’économie du rocher dépend largement de son appartenance à l’UE, et de l’attractivité exercée sur les investisseurs par sa fiscalité.

À Madrid, on se frotte déjà les mains. "Le drapeau espagnol se rapproche du Rocher", a ironisé le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Garcia Margallo. Ce responsable a évoqué à la radio Onda Cero la possibilité d’une "co-souveraineté britannico-espagnole pendant une période limitée", et qui aboutirait à une restitution du territoire à l’Espagne, ce qui permettrait à Gibraltar de rester dans le marché intérieur européen.

Une frontière en Irlande du Nord ? En Irlande du Nord, le Sinn Fein, ex-vitrine politique de l’Armée républicaine irlandaise, a demandé la tenue d’un référendum en vue d’une réunification des deux Irlandes, dans la mesure où le Brexit devrait, théoriquement, aboutir à la remise en place de la frontière entre les deux pays. "Venant du Sinn Feid, ce genre de déclaration est à prendre avec des pincettes, mais il n’est pas impossible que des velléités se forment dans les prochains mois", avertit Vivien Pertusot. "L’Irlande du Nord est particulièrement dépendante de Londres, mais aussi des fonds d’aide européens. Est-ce que Londres pourra approvisionner le pays au même niveau que l’UE ?", interroge-t-il. 

"Les Anglais vont être punis. Après l’ivresse du Brexit, maintenant c’est la gueule de bois", conclut Philippe Moreau Defarges face aux dissensions qui se font jour quelques heures à peine après le référendum. "Ils risquent d’avoir ce qu’ils ne voulaient pas : se retrouver tellement isolés qu’ils ne pourront même plus jouir de leur insularité."