Le casse-tête de la défense de Breivik

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avec Reuters
Son avocat craint d'avoir "perdu son âme" en défendant le tueur en série.

D'abord, il a refusé. Quand Geir Lippestad a reçu un appel de la police lui demandant s'il voulait s'occuper de la défense d'Anders Behring Breivik, au lendemain du massacre de 69 personnes sur la petite île d'Utoya, sa première réaction a été de dire non.

Puis il s'est tourné vers son épouse infirmière, qui lui a dit: "'Attends, s'il avait été blessé par balles, des médecins et des infirmiers l'auraient soigné, ils auraient fait leur travail. Tu es avocat, ne veux-tu donc pas faire ton travail?'". Voilà comment l'avocat est devenu le défenseur de l'homme qui a traumatisé la Norvège.

Membre du parti travailliste

C'est Anders Behring Breivik lui-même qui a demandé à être défendu par Geir Lippestad, parce que ce dernier avait défendu un militant néo-nazi par le passé. Pourtant, inutile de chercher chez cet avocat des affinités avec l'extrême-droite. Au contraire, Geir Lippestad est membre du parti travailliste et il défend une Norvège libérale et tolérante. A mille lieux de la vision qu'en a Anders Behring Breivik, qui revendique avec son geste la volonté de "protéger" la Norvège du multiculturalisme.

C'est d'ailleurs au nom de ses convictions que Geir Lippestad a choisi de défendre son client. Il estime qu'en défendant Anders Behring Breivik, il défendrait aussi sa vision de la société, alors que le massacre a conduit certaines voix à réclamer un durcissement du système judiciaire norvégien, où la peine capitale n'existe pas et où la peine maximale d'emprisonnement est de 21 ans.  

"Ce serait facile de dire: 'c'est tellement cruel, que cet individu ne devrait pas avoir les mêmes droits que les autres', mais si nous changeons les règles pour une seule personne, nous menaçons le coeur de la démocratie", confie-t-il dans un entretien à Reuters.          

"Un élément vital de la démocratie"

Lors du procès, qui débute lundi et doit s'étendre sur dix semaines, l'avocat pourrait faire valoir que son client a épargné les enfants les plus jeunes, qu'il a collaboré avec la police, qu'il a tenté de se rendre ou qu'il a avoué.       

Il pourrait aussi convoquer politologues ou historiens pour leur faire dire que la vision du monde d'Anders Behring Breivik est partagée par d'autres, ou encore un imam radical partageant l'opinion selon laquelle les cultures européenne et musulmane seraient inconciliables.

"Quelle qu'ait été l'horreur du crime, un prévenu doit avoir quelqu'un qui s'occupe de ses intérêts. C'est un élément vital de la démocratie", dit l'avocat. "Je dirais que 99% des Norvégiens comprennent que c'est absolument essentiel."

Pourtant, les premiers jours, Geir Lippestad a reçu des menaces anonymes et certains proches lui ont signifié leur consternation. Mais les encouragements ont aussi afflué, même ceux des familles des victimes.

"J'ai perdu mon âme"

Plusieurs pages ont été créées sur Facebook pour soutenir l'avocat et "la tâche inhumaine" qui l'attend.           

Mette Yvonne Larsen, qui défend les survivants et les proches des victimes, décrit son adversaire comme un homme "gentil, calme, amical". "Je ne sais tout simplement pas comment il fait. Moi-même, je me retrouve à pleurer en rentrant à la maison", avoue-t-elle.    

L'avocat confie avoir traversé des épreuves personnelles difficiles - il a failli perdre une fille handicapée de 16 ans dont la santé reste fragile - qui lui ont permis de prendre du recul.       

Mais il connaît aussi des moments où l'énormité de sa tâche lui donne le vertige. "Je sens que j'ai perdu mon âme dans cette affaire", a-t-il dit récemment au quotidien Le Monde. "J'espère la récupérer une fois que ce sera terminé, et qu'elle sera dans le même état."