Kadhafi, un "manipulateur hors pair"

Kadhafi et les membres de sa famille pourraient être retranchés dans un bunker ou pourraient se cacher dans des habitations de la capitale.
Kadhafi et les membres de sa famille pourraient être retranchés dans un bunker ou pourraient se cacher dans des habitations de la capitale. © REUTERS
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et Laure Dautriche , modifié à
ENQUETE -  Le Guide libyen savait organiser des "fêtes somptueuses". Pour soigner son image.

Alors que les rebelles sont dans Tripoli et ont franchi mardi soir les murs de la résidence de Kadhafi, une question reste sur toutes les lèvres : où se trouve le leader libyen ? Certains assurent qu'il aurait déjà quitté le pays. D'autres qu'il est encore à Tripoli. Dans la nuit de mardi à mercredi, Mouammar Kadhafi a qualifié de "décision tactique" son départ de son quartier général de Bab al Aziziah, rasé, selon lui, par 64 bombardements aériens de l'Otan.

Une vraie forteresse

Pourtant, nombreux sont ceux qui pensaient que Mouammar Kadhafi se trouvait à l'intérieur, peut-être retranché dans un des bunkers de cette résidence fortifiée. Un palais entouré de murs de béton de 8 mètres de haut, et à l'intérieur, un grand parc, une mosquée, un musée, des tentes, et des bâtiments blancs de deux étages où Kadhafi vit avec une partie de sa famille. C'est sa maison, mais aussi son quartier général.

"C'est du vrai béton armé" :

Un dédale de souterrains, raconte Eric Denécé, directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement, qui a eu l'occasion d'entrer dans la résidence il y a six mois. "C'est du vrai béton armé, vous avez des gardes armés un peu partout, de nombreux sas. Kadhafi dispose de plusieurs abris, de souterrains qui lui permettent de ressortir à plusieurs endroits de la ville". "C'est un espace segmenté, c'est-à-dire qu'il y aussi à l'intérieur des zones protégées auxquelles on ne peut pas accéder", ajoute-t-il.

Le roi de la mise en scène

Impossible de savoir si, dans ce complexe, le Guide libyen a déjà pensé à sa chute. C'est un sujet tabou, Kadhafi n'en parlait pas, il était là pour l'éternité, jamais dans le doute. Et pendant ses 42 ans de règne, il a cultivé une image. Celle d'un dictateur extravagant, fantasque. Mais à chaque fois, tout était calculé.

C'est justement le côté manipulateur du Guide qui marque Jean Ziegler, sociologue. Ce dernier a côtoyé Kadhafi pendant 25 ans. Une manipulation qui, d'après lui, s'exprimait jusque dans les fêtes luxueuses qu'il organisait, et où il invitait souvent des Occidentaux. Interrogé par Europe 1, le sociologue se rappelle des "fêtes somptueuses, avec des centaines des centaines de moutons grillés, dans des tentes très confortables, dans le désert de Syrte".

Jean Ziegler se souvient aussi de "chefs d'Etat qui recevaient des cadeaux. C'étaient des mises en scène que Kadhafi utilisait pour impressionner, endormir, rouler dans la farine ses interlocuteurs. C'était un manipulateur hors-pair".

Une paranoïa saisissante 

Une manipulation doublée d'une attention particulière portée à son image. Mouammar Kadhafi ne faisait confiance à personne. Il voulait maîtriser le temps et son image. En 1995, le colonel se fait opérer du visage. Chirurgie esthétique pour, disait-il, "éviter que les jeunes du pays me voient comme un vieux". Il s'est donc fait lisser le visage par un médecin brésilien réputé. Opération en pleine nuit dans son bunker à Tripoli. Le professeur Liacyr Ribeiro, qui l'a opéré, s'est récemment exprimé sur une chaîne de télévision brésilienne. Il parle d'un homme paranoïaque, qui a tout le temps peur des attaques.

"Il avait trop peur de la maladie et de la mort" :

"Kadhafi voulait absolument qu'il n'y ait que des médecins étrangers autour de lui. Il y avait un Pakistanais, un Yougoslave et moi. Surtout pas de Libyens, disait-il, parce qu'il savait que dans son pays, il était une cible à abattre. Et puis Kadhafi a demandé une anesthésie locale, pas générale. Il avait trop peur de la maladie et de la mort", se souvient le chirurgien.