Beate Zschäpe, la néonazie silencieuse

© Reuters
  • Copié
Charles Carrasco avec AFP , modifié à
PORTRAIT - Elle est jugée lundi dans l'un des plus grands procès de l'après-guerre en Allemagne.  

L'INFO. Uwe Böhnhardt, 34 ans et Uwe Mundlos, 38 ans, faisaient "partie de la famille", a assuré Beate Zschäpe aux enquêteurs. En réalité, ces deux hommes qui se sont donné la mort le 4 novembre 2011, étaient ses simples acolytes, ses compagnons du crime. La jeune femme sera donc seule, ou presque, sur le banc des accusés dans le procès d'une des séries meurtrières les plus sanglantes de ces dernières décennies.

Elle se terre dans le silence. Beate Zschäpe, 38 ans, qui encourt une lourde peine de prison, doit répondre de sa participation présumée à neuf meurtres xénophobes entre 2000 et 2006, plus celui d'une policière en 2007. Elle est également soupçonnée d'être impliquée dans deux attentats contre des communautés étrangères et quinze braquages de banque. L'un de ses avocats a d'ores et déjà fait savoir qu'elle ne comptait pas s'exprimer sur les faits reprochés alors qu'elle est murée dans le silence depuis un an et demi.

Beate Zschaepe procès 930-310

© Reuters

"La fiancée nazie". 8 novembre 2011. Une femme brune, aux traits juvéniles derrière de fines lunettes, se présente au commissariat de la ville de Zwickau, en ex-Allemagne de l'Est. "Je suis celle que vous cherchez", indique-t-elle simplement. Beate Zschäpe, surnommée "la fiancée nazie", met ainsi un terme à près de quatorze années de vie clandestine durant lesquelles, avec deux néonazis, elle a participé à une série de meurtres. La cellule néonazie qu'elle avait créé Clandestinité national-socialiste (NSU) est enterrée.

Elle se fait appeler Lisa. Pendant des années, cette femme originaire de l'ex-RDA a joué la voisine polie, volontiers considérée comme "une bonne âme". Très loin de l'image d'une militante néonazie nostalgique du IIIe Reich. "C'était une sorte de grande sœur (...) un être au grand cœur", a raconté sa voisine à la télévision. Une amie qui lui ment toutefois des années durant en se faisant appeler Lisa.

Beate Zschaepe 930

© Reuters

Une relation ambigüe. Le Parquet fédéral allemand estime qu'elle a joué "un rôle dominant" dans le trio, assurant "le lien émotionnel" entre eux. D'abord en couple avec Uwe Mundlos, elle entame ensuite une liaison avec Uwe Böhnhardt. Elle gère l'argent qui provient des braquages qu'ils commettent ensemble, fait la cuisine. Elle organise la location des appartements dans lesquels le trio se cache, dont le dernier, rue du Printemps à Zwickau, dans le sud-ouest du pays.

Elle a connu une enfance chaotique. Sa mère, Annerose Apel, a accouché de Beate sans avoir su qu'elle était enceinte. Son père est vraisemblablement un Roumain qui a toujours refusé d'endosser cette paternité. Durant les trois premières années de sa vie, l'enfant changera trois fois de nom pour finir par prendre celui du deuxième mari de sa mère. Lorsqu'elle se rend à la police, sa mère et sa grand-mère ne l'ont pas vue depuis plus d'une décennie.

Elle passe tous ses étés dans le camping d'une île allemande en mer Baltique. Des images tournées pour un documentaire en 2011 montrent Beate Zschäpe, qui vit pourtant dans la clandestinité, participer à un cours d'aérobic au milieu des vacancières en maillot de bain.

Formée à l'horticulture. Personne ne semble l'avoir jamais entendu tenir des propos racistes. Adolescente dans l'ancienne RDA qui subit de plein fouet le choc économique de la Réunification, Beate Zschäpe s'est pourtant engagée dès l'âge de 20 ans dans les milieux néo-nazis.

La jeune femme fait la connaissance de Mundlos et Böhnhardt au début des années 90 dans un centre de loisirs pour jeunes. Après une formation d'horticulture, elle alterne petits boulots et longues périodes de chômage. Elle participe aussi à des défilés d'extrême droite. Très vite, le trio se radicalise et s'arme. Leur vie bascule en 1998 lorsque, repérés par les renseignements intérieurs, ils passent dans la clandestinité. La jeune femme rompt alors tout lien avec ses proches.

Leur macabre série. Le bilan humain de ce trio est lourd : huit citoyens turcs ou d'origine turque et un Grec sont abattus entre le 9 septembre 2000 et le 6 avril 2006. A chaque fois, les meurtres sont commis dans des cafés Internet, des boutiques de fruits et légumes, des snacks de kébabs, à travers tout le pays et toujours avec la même arme. Mais au début, la police n'explore sérieusement la piste xénophobe.

L'affaire sera finalement élucidée en novembre 2011... par hasard. Des policiers retrouvent dans une caravane les corps de Böhnhardt et Mundlos, qui ont préféré mourir plutôt que de se rendre à la suite d'un braquage raté. Quelques heures après, Beate Zschäpe met le feu à leur appartement. Elle se rendra quatre jours plus tard.

Beate Zschaepe procès 930

© Reuters

Ces crimes ont choqué l'opinion. Au cours de ce procès qui démarre lundi, la Cour devra notamment répondre à deux questions qui hantent l'Allemagne depuis la révélation de l'affaire : comment ces trois néo-nazis dans le collimateur des services de renseignements intérieurs dès la fin des années 90, ont-ils pu vivre si longtemps sans jamais être inquiétés ? Et comment une série de meurtres de petits commerçants immigrés a-t-elle pu rester inexpliquée pendant plus d'une décennie ?

C'est seulement en avril que l'Allemagne s'est officiellement excusée à l'ONU pour les erreurs commises durant l'enquête. Le pays a reconnu que ces meurtres racistes "ont été sans le moindre doute l'une des plus graves atteintes aux droits de l'Homme de ces dernières décennies en Allemagne".