Le Mans : polémique autour de l'indemnisation d'une femme défenestrée par son compagnon

Les avocats de la victime ont décidé de faire appel pour qu'elle soit indemnisée totalement.
Les avocats de la victime ont décidé de faire appel pour qu'elle soit indemnisée totalement. © AFP
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avec Salomé Legrand et AFP , modifié à
Une habitante du Mans, restée paraplégique après que son compagnon l'a jetée de la fenêtre du deuxième étage, a été reconnue partiellement responsable de ce qui lui est arrivé et donc partiellement indemnisée.

Une femme de 31 ans habitant Le Mans, est devenue paraplégique après avoir été défenestrée par son compagnon, condamné à 15 ans de prison. La Commission d'indemnisation des victimes a estimé qu'elle était partiellement responsable, refusant de l'indemniser complètement. Une procédure en appel est en cours. 

Jetée par la fenêtre, inconsciente. L'affaire, révélée par Le Maine libre, remonte au 24 août 2013. Ce soir-là, la police intervient au Mans dans l'appartement d'Aïda, (le prénom a été changé) et de son compagnon, ce dernier ayant agressé un ami commun. Les policiers conseillent alors à la jeune femme, âgée à l'époque de 25 ans, de ne pas rester dormir chez elle. Aïda envisage de se rendre dans sa famille à Alençon, mais y renonce, selon ses avocats. Elle appelle le 115 et envoie des textos à des amis, en vain. La jeune femme décide de rentrer chez elle.

"Aïda subissait des violences habituelles de la part de son compagnon qui n'avaient pas donné lieu à hospitalisation, mais ce soir-là il ne l'avait pas violentée", a précisé son avocat Me Mathias Jarry. Mais son compagnon finit par s'en prendre aussi à elle après le départ des policiers. Cris, menaces, objets jetés... Les voisins appellent la police à 3h30. Quand les forces de l'ordre arrivent, elles découvrent la jeune femme gisant au pied de l'immeuble, le visage tuméfié. Son compagnon venait de la jeter, inconsciente, par la fenêtre de l'appartement, au deuxième étage. Aïda restera paraplégique. Il a été reconnu coupable et condamné à 15 ans de prison, en juin 2016, par la Cour d'Assises de la Sarthe.

Une position "aberrante" pour les avocats. Dans son arrêt civil à la même date, la cour d'assises fixe la provision pour l'indemnisation de la victime à 90.000 euros. Ses avocats Me Jarry et Me Julie Dodin saisissent alors la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (Civi) pour que l'État, via le Fonds de garantie des victimes (FGTI), verse cette provision pour financer les conséquences du handicap.

Mais le Fonds ne retient qu'une indemnisation partielle. "Il considère qu'il y a partage de responsabilité et que notre cliente a commis une faute civile en retournant à son domicile", commente Me Jarry. Contacté par Europe 1, le FGTI nuance cette présentation des faits et rappelle qu'il travaille "sous le contrôle du juge". En l’espèce, le FGTI et le procureur étaient sur la même ligne et c'est le magistrat de la Civi qui a décidé de limiter l'indemnisation dans ce dossier, "en raison d'une faute de la victime". 

Selon nos informations, celle-ci était sous l'emprise de stupéfiants et avait été accompagnée à la gare par des policiers pour prendre le train 1 heure plus tard en direction d’Alençon, avant de prendre la décision de rentrer chez elle, faisant un "tapage" pour contraindre son compagnon à lui ouvrir la porte. Le 13 février 2018, la Civi a donc retenu le partage de responsabilités et proposé de verser 67.500 euros. Jugeant cette position "aberrante", les avocats ont fait appel.

Une réduction de l'indemnisation prévue par la loi. "La loi prévoit, en effet, que la victime qui contribue, par sa faute, à son dommage peut voir son droit à l'indemnisation réduit et même parfois supprimé", ajoute le Fonds de Garantie, précisant que la provision de 67.500 euros a d'ores et déjà été réglée. D’après Me Matthias Jarry, le chèque, réclamé par le FGTI du fait de l’appel en cours a été placé sur le compte Carpa (caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats), interne aux avocats en attendant une décision définitive. Il appartient désormais à la Cour d'appel de se prononcer.

Interrogée par l'AFP, la secrétaire d'État à l'Égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa a qualifié cette situation de "profondément choquant et incompréhensible", jeudi. "Considérer qu'une femme est responsable, même partiellement, même administrativement des violences qu'elle subit va à l'encontre de tout le travail de conviction que nous menons (...) pour convaincre qu'une femme n'est jamais responsable des violences qu'elle subit", a-t-elle souligné, se disant prête "si c'est avéré et dans ces termes" à "intervenir personnellement".