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Aurélie Dupuy
Christophe Hondelatte revient ce lundi sur la disparition de Thierry Saman en 2003, une "balance" dans le milieu du grand banditisme.

Qu'est-il arrivé à Thierry Saman, gardien d'immeuble dans une cité du 13e arrondissement de la capitale en janvier 2003 ? Christophe Hondelatte revient sur une affaire liée au grand banditisme, qui a connu de multiples rebondissements.

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Un crime passionnel ? Le 15 janvier 2003, Thierry Saman, gardien d’immeuble, disparaît. Sa femme Brigitte en fait le signalement deux jours plus tard. Et le 20 janvier, la police lance une enquête pour disparition inquiétante et perquisitionne la loge de concierge. Spontanément, la femme du disparu sort un revolver, celui de son mari. Les soupçons s'orientent alors vers elle. Soupçons que l'ex-femme du disparu appuie. Ce qui semble être alors une affaire de crime passionnel change de registre quand la police étudie les relevés téléphoniques de Thierry Saman.

Une vie de "balance". A l'examen des coups de fil, les enquêteurs se rendent compte que le disparu, ancien champion d'Europe de kick-boxing à la carrure de colosse a tout d'un indic' de la police judiciaire. Il a ...un casier judiciaire de vol avec violence et trafic de stups'. L'un de ses meilleurs amis, qu'il appelle tout le temps, est un flic. Et enfin, le disparu était aussi en contacts réguliers avec un commandant de la PJ de Versailles, spécialisé dans le grand banditisme. Un officier qu’il a vu... la veille de sa disparition. Les relevés téléphoniques montrent aussi des échanges avec une cabine téléphonique de Montargis, dans le Loiret. L'info fait tilt chez les flics. En 2002, une équipe de braqueurs utilisait une ferme de Montargis comme base de repli. Et une partie des braqueurs a été arrêtée par le commandant dont Saman était l’indic'. Les policiers sont désormais convaincus que c’est dans le monde du grand banditisme que se trouve l’explication de la disparition de Saman.

Une autre affaire amène vers le sang de Saman. Mais s'ils sont convaincus, ils n'ont pas vraiment de piste. C'est une autre affaire qui va aiguiller le dossier, celui d'une fusillade en août 2002 – soit six mois avant la disparition - devant une boîte du quai d’Austerlitz. Un vigile blessé a reconnu les tireurs, refoulés le soir-même. Un trio est identifié dont un certain Eric Steiger. Chez ce dernier, les policiers trouvent munitions et postiches. Dans son box du 18e, ils découvrent armes automatiques, fausses plaques, cagoules… 34 kg de résine de cannabis et une Audi S3 avec des taches de sang d’un homme inconnu au fichier central des empreintes génétiques. Ce n’est que deux ans plus tard qu’un indicateur vient raconter à un policier du 36 quai des Orfèvres que ce sang serait celui de Thierry Saman. Or, on n’a pas l’ADN du disparu. On fait des prélèvements dans sa famille et on compare : le sang dans la voiture est bien celui de Thierry Saman.

Quatre noms. C'est encore un autre indic' qui fait avancer l'affaire en juin 2005. D'après lui, on dit dans le milieu que Saman a été liquidé. Il donne quatre noms : Eric Steiger, Eddy Ghariani, Thierry Roméro et Louis Guillaud. Tous fichés au grand banditisme. Ils l’auraient tué parce qu’il était une "balance". Et une balance très efficace car s’il était si bien renseigné, c’est parce que Saman était… le logisticien d'affaires de grand banditisme. Il fournissait caches, parkings, voire servait de chauffeur. Pourquoi alors jouer double jeu et balancer aux flics ? Pour l'argent d'une part. Mais aussi parce qu'en donnant des tuyaux, Thierry Saman se rachetait de son passé de voyou. Et enfin, parce qu'il aurait aimé être flic, et même "ripou" pour "profiter du système", comme le rapporte l'avocate Sophie Sarre, du barreau de Paris, qui a défendu les proches du disparu et qui tient cette explication d'un ancien ami de Saman.

La piste d'une carrière. Les quatre hommes dont les noms sont sortis sont arrêtés en avril 2006. La femme d'Eric Steiger dira que le soir de la disparition de Saman, Steiger était rentré taché de terre après avoir travaillé dans une grotte. Or le père de Steiger est un passionné de spéléologie qui a exploré longuement une carrière dans l’Oise. En août 2006 : le juge ordonne qu’on fouille cette carrière. En vain. C’est l’arrestation de Guillaud dit Loulou la Carpe qui débrouille l’affaire. Au moment de la disparition, l'homme est sur écoute. Et la bande son laisse supposer qu'il est impliqué.

Le suicide de la carpe. Mais telle une carpe, Guillaud reste d'abord muet, puis passe à table après quatre jours de garde à vue. C’est lui qui a donné rendez-vous à Saman ce soir-là sur une air d’autoroute. L'homme a compris que c'était un guet-apens, a tenté de s'échapper avant d'être abattu. Et achevé par Ghariani, d'après les dires de Guillaud. Puis, brûlé dans la carrière. Sur place, on retrouve une voiture brûlée sans cadavre. Puis plus profondément enfoncée dans la carrière, une seconde voiture et les restes d'un corps calciné. Six ans après sa mort, le disparu est retrouvé. Le légiste confirme l’exécution. Qui exactement a fait le coup ? Mystère ! Car quand le juge demande à réinterroger Guillot, ce dernier s'est suicidé à 78 ans. Ne reste plus alors que Steiger, Ghariani et dans une moindre mesure Romero. Steiger se défend en disant que le soir de la disparition, il était au cinéma. Il a en sa possession le relevé de la carte bancaire sauf que l’on y voit aussi qu’il a acheté 40 litres de carburant, des masques et des combis !

Verdict. Le procès a lieu le 6 janvier 2014. Steiger et Ghariani risquent la perpétuité. Les deux chargent le mort, Loulou la carpe. L’avocate générale requiert 25 ans contre Steiger et 20 ans contre Ghariani et demande l’acquittement de Romero faute de preuves. Le verdict est implacable : Steiger est condamné à 19 ans pour assassinat, Eddy Gariani à 17 ans et Thierry Roméro est acquitté. A l’énoncé du verdict, les deux condamnés hurlent leur innocence... mais ne feront pas appel.

Retrouvez le récit de l'affaire dans son intégralité :