Me Henri Leclerc était l'invité d'Europe 1. 3:16
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Ariel Guez , modifié à
Invité d'Europe 1 samedi, Maître Henri Leclerc a réagi aux révélations du "Point" concernant les écoutes d'avocats effectuées par le Parquet national financier dans l'affaire Paul Bismuth. Le célèbre avocat pointe l'organisation du système judiciaire et estime que depuis longtemps, "la justice déraille". 
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Des avocats ont-ils été espionnés par le Parquet national financier (PNF) ? C'est ce que questionne Le Point. Selon l'hebdomadaire, afin de retrouver la taupe éventuelle au sein de la magistrature qui aurait fait fuiter l'existence d'écoutes visant Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog, des enquêteurs ont un temps épluché les factures téléphoniques détaillées ("fadettes") de nombreux ténors du barreau et de leurs collaborateurs.

Au lendemain de ces révélations, le bâtonnier Cousi a décidé d'engager une action au nom de l'Ordre des avocats de Paris, affirmant avoir demandé au célèbre pénaliste Henri Leclerc "de bien vouloir réfléchir, au sens procédural" et "à quelle action engager". Invité de C'est arrivé cette semaine, maître Henri Leclerc est revenu samedi matin sur cette affaire au micro d'Europe 1, estimant qu'elle était synonyme d'une "atteinte au droit de la défense". 

"Selon moi, l'écoute d’un avocat devrait toujours être ordonnée par un juge indépendant"

Le pénaliste, par ailleurs président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme, explique que le secret professionnel est "au cœur même des droits de la défense". "Vous imaginez aujourd'hui, quand les noms de ces avocats vont être relevés, les gens qui vont savoir que leurs relations avec un avocat sont entre les mains de la police ?" demande Henri Leclerc, s'estimant "indigné". "Il y a là quelque chose qui est profondément choquant", martèle-t-il, soulignant que le secret professionnel est avant tout mis en place pour protéger les citoyens, et non pas les avocats.

Évidemment, rappelle le célèbre pénaliste, les avocats ne sont pas au-dessus des lois et peuvent être sous le coup d'une enquête, mais "il faut des garanties". "L’écoute d’un avocat devrait toujours être selon moi ordonnée par un juge indépendant, parce que c’est une mesure grave. Pour les fadettes, il y a une zone grise (...) il est évident que la recherche de celles des avocats doit être proscrite". 

"Je n’ai cessé de dire que la justice déraillait"

Cette affaire, quelques jours après les déclarations de l'ex-procureure Eliane Houlette, qui s'est émue du contrôle "très étroit" qu'aurait exercé le parquet général dans l'affaire Fillon, serait-elle le symbole d'une justice qui déraille ? "Il y a 65 ans que je suis avocat. Depuis, 65 ans, il y a un problème qui m’a toujours préoccupé qui est celui de la procédure pénale et de l’indépendance du parquet", dénonce Henri Leclerc. "Je n’ai cessé de dire que la justice déraillait", affirme-t-il au micro d'Europe 1. "À chaque moment, il y a un déraillage", poursuit l'avocat, pointant du doigt "l’organisation du système judiciaire".

"Je ne crois pas à la grande survie du parquet financier" 

Pour Henri Leclerc, la création du Parquet national financier "n'était pas forcément une mauvaise idée, mais ça l'est devenu". "On a créé un parquet qui avait pour spécialisation de voir les malversations financières. Il s’attaque quand même à un poids fort de la société", rappelle le pénaliste. "Les juges sont parfois pris par le vertige de leur pouvoir et il peut s’être passé des choses tout à fait déplaisantes", regrette Henri Leclerc. "Ce qui se passe dans l’affaire des fadettes de nos confrères, au mépris même des droits de la défense, en est un exemple terrifiant".

"L’essentiel, c’est de conserver l'indépendance des juges"

Selon le président d'honneur de la LDH, il faut "réformer" la justice. "Je ne crois pas à la grande survie du parquet financier", lâche-t-il au micro d'Europe 1. Alors, faut-il tendre vers une indépendance complète du parquet ? "C’est une question fondamentale (...) l’essentiel, c’est de conserver l'indépendance des juges", répond maître Henri Leclerc, qui met aussi en garde face aux soupçons qui pourraient survenir dans le cadre d'affaires politico-judiciaires.

"Il y a un lien qui est fait avec le parquet général, puisque le parquet financier lui est soumis. Mais ce qui serait plus ennuyeux, ce serait un lien entre le parquet général et le pouvoir politique. Nous n'avons pas de preuves, seulement des soupçons. Mais nous ne devrions pas les avoir, car c'est le soupçon qui dégrade la justice". Entre la justice "aux ordres" et le pouvoir judiciaire "sans limites", "il faut trouver un équilibre et une organisation judiciaire moderne", conclut l'avocat.