Chaque jour, Vincent Hervouet traite d’un sujet international.
Au Nicaragua, l’opposition vient d’inventer une nouvelle façon de manifester : le rouge à lèvres.
Les concerts de casseroles ont fait le tour de l’Amérique latine, l’invention remonte à Louis-Philippe, le génie français est universel. On a vu partout des opposants avec le bâillon sur la bouche. À Managua depuis trois jours, on proteste avec un bâton de rouge à lèvres. Sur les réseaux sociaux, le hashtag #Soypicorojo (traduction : j’ai le bec/la bouche rouge) réclame la libération des prisonniers politiques.
C’est une figure de la révolution sandiniste des années 80, qui a fait cette trouvaille dimanche. Elle défilait contre Daniel Ortega, le président de gauche qui s’accroche au pouvoir, comme jadis, elle avait défié la dictature de droite de Somoza. Elle a été embarquée. La nouvelle loi anti-terroriste punit de prison ferme toute activité antigouvernementale.
Avant l’interrogatoire, cette femme de 70 ans s’est soigneusement maquillée. Elle a recommandé à ses codétenues d’en faire autant. Quand la police lui a demandé à quelle organisation politique elle appartenait, elle a répondu, "soy pico rojo", je suis membre de "l’Association des femmes au bec rouge". L’enquêteur en est resté bouché bée. Difficile et ridicule de verbaliser une femme parce qu’elle est fardée. On est en Amérique centrale, pas en Afghanistan.
Au bout de 24 heures, les opposantes ont été relâchées. Et depuis les réseaux sociaux sont inondés de photos de gens qui se mettent du rouge à lèvres en signe de ralliement.
C’est plutôt bon enfant.
C’est l’élégance du désespoir. Cela fait six mois jour pour jour ce matin que le Nicaragua s’enfonce dans la violence. Le 18 avril, première manifestation ns contre Daniel Ortega et sa femme qu’il a nommée vice-présidente et qui se goinfrent. Ils n’ont pas hésité à tirer dans le tas. Depuis, 320 morts, des centaines d’opposants en prison, des dizaines de milliers de réfugiés à l’étranger. Ortega a découragé toutes les médiations. Comme son ami Maduro au Vénézuéla, il est prêt à précipiter le pays dans le chaos. Lui aussi a le bec rouge, car parce qu’il est couvert de sang.