4:01
  • Copié

Chaque matin, Vincent Hervouet nous livre son regard sur l'actualité internationale. Ce lundi, il revient sur les accusations de l'Ukraine qui reproche à l'Allemagne "d'encourager Poutine".

La crise avec la Russie et l’unité des Européens en question. L’Allemagne est soupçonnée de manquer de fermeté face au Kremlin.

La détermination des Allemands a pris une torpille sous la ligne de flottaison, quand le chef d’état-major de la marine a expliqué ce week-end que c’est une ineptie d’imaginer que la Russie envahisse l’Ukraine. Il a ajouté qu’il était facile de donner à Vladimir Poutine le respect qu’il veut et qu’il mérite aussi probablement. Il a conclu en expliquant que la Crimée annexée par les Russes ne reviendrait jamais dans le giron ukrainien. C’est possible, et même probable et même certain, sauf que les Européens refusent l’annexion et justifient ainsi leurs sanctions contre le Kremlin…

Toutes ces vérités approximatives et scandaleuses ont été prononcées en Inde, en petit comité. Mais avec les réseaux sociaux, c’est comme si l’officier avait crié à Kiev, avec un mégaphone à Maïdan. L’Amiral a déclenché un tsunami. L’Ukraine a convoqué l’ambassadeur d’Allemagne. La Chancellerie a tangué. Le Secrétaire d’Etat américain a juré qu’il n’avait aucun doute sur la détermination de l’Allemagne et qu’il le dise suffit à prouver le contraire. La tempête diplomatique a écourté la croisière qui s’amusait aux Indes et l’amiral s’est fait hara-kiri, démission, exécution.

Alors, on peut rigoler en répétant que c’est curieux, cette manie de faire des phrases chez les marins. On se dit surtout que l’officier disait tout haut ce que beaucoup d’Allemands pensent tout bas. C’est sans doute comme cela que le Kremlin l’analyse.

Et ça, c’est un problème pour les Européens.

Cela nuit à la crédibilité de l’Union européenne qui promet des sanctions terribles à la Russie si elle attaque l’Ukraine.

Il y a dix jours, les 27 ministres de la Défense et leurs 27 collègues des Affaires Etrangères étaient réunis à Brest. Ils ont édicté dix principes qui constituent leur position commune face à la Russie. Le rejet de la sphère d’influence, le rappel des accords d’Helsinki, le soutien à la charte de Paris, etc. Un vrai décalogue pour diplotomates. Avec une proclamation solennelle : « toute nouvelle agression contre l’Ukraine aura des conséquences massives et des coûts élevés en réponse… »

C’est ferme mais c’est… flou. Les grands principes ne pèsent pas lourd face au principe de réalité : personne n’a l’intention de mourir pour le Dombass. Joe Biden lui-même a exclu une intervention militaire en Ukraine. Restent les sanctions économiques. Qui n’ont jamais fait plier quiconque. Qui sont toujours difficiles à démonter. Et qui risquent de coûter particulièrement cher à l’Allemagne… Dur dur d’envoyer par le fond le gazoduc Nord Stream2, ce beau projet piloté par l’ancien chancelier Shroeder devenu un oligarque de première classe.

Les Allemands aimeraient bien sanctuariser leur gazoduc. Leur ministre de la Défense dit que la mise en service doit être tenue à l’écart du dossier ukrainien. Le chancelier Scholz appelle à la sagesse dans l’examen des sanctions possible. Il a même dit que le gazoduc est « un projet privé ». Alors que c’est le contraire : un projet 100% géopolitique, puisqu’il va permettre à la Russie de livrer son gaz à l’Europe de l’Ouest, sans dépendre du gazoduc qui traverse l’Ukraine. Cela veut dire plus de liberté pour le Kremlin, plus de dépendance pour l’Europe et l’Ukraine réduite à mendier.

Est-ce que l’Allemagne est le maillon faible ?

C’est une évidence. La gauche allemande croit toujours à l’ostpolitik. Qu’en faisant du commerce, elle fera évoluer le Kremlin. Que c’est ainsi que le mur est tombé, ce qui est faux. Le comble, c’est que le nouveau gouvernement s’est engagé dans son accord de coalition à mener la transformation de l’Union européenne en Etat fédéral. Rien que cela, écrit noir sur blanc. Le nouveau chancelier a adopté dans la foulée le concept de souveraineté stratégique d’Emmanuel Macron.

Au Kremlin, on doit en rire. Les Russes savent qu’il faut s’appuyer sur les grands principes. Ils finissent en général par céder.