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L'ancien président soudanais Omar el-Bechir, chassé du pouvoir par la révolte populaire l'an passé, comparait depuis mardi devant des juges de son pays pour les massacres commis pendant 30 ans par son régime militaro-islamiste. Un procès hors norme dans le monde arabe. 

Didier François, vous vouliez nous parler du Soudan, où s’est ouvert mardi un procès inédit dans le monde arabo-musulman. Celui de l’ancien dictateur Omar el-Bechir qui doit répondre devant des juges soudanais de sa responsabilité pour les massacres commis pendant 30 ans par son régime militaro-islamiste. 

Oui, c'est inédit parce qu’à ce jour, aucun de ces despotes, pas plus laïc d’ailleurs qu’islamiste, n’a eu à rendre de compte devant sa propre justice. On ne va prendre que deux exemples : celui de Saddam Hussein en Irak, qui a été capturé, jugé, puis pendu par un système mis en place et, dans les faits, contrôlé par l’armée américaine. Et celui du colonel Kadhafi en Libye, dont la chute puis l’exécution sont également liées à une intervention militaire occidentale. 

Alors qu’au Soudan pas du tout. Omar el-Bechir a été renversé par sa population en avril de l’année dernière, après plusieurs semaines de manifestations massives. Le dictateur n’a pas été tué, il a été arrêté par son armée qui a fini par se retourner contre lui. Et il est jugé à Khartoum, dans la capitale du Soudan, par trois magistrats soudanais. On a donc là un processus de transition démocratique, entièrement local, sans ingérence extérieure directe, et qui pourrait devenir un modèle du genre pour la région. C’est dire à quel point les enjeux de ce procès sont importants et combien les attentes sont fortes.

Et pourtant, la Cour pénale internationale réclame toujours l’extradition d’Omar el-Bechir, pour pouvoir le juger à La Haye pour crime contre l’Humanité.

Oui, et c’est une question extrêmement délicate. La CPI a joué un rôle extrêmement important lorsqu’elle a lancé son mandat d’arrêt international contre Bechir en 2008, alors qu’il menait un véritable génocide dans la région du Darfour, parce que cette épée de Damoclès pesait également sur tous ses chefs militaires. Et on peut penser que c’est cette menace qui les a poussés à finalement lâcher le dictateur.

Le nouveau gouvernement de transition représente justement cet équilibre subtil entre les opposants, issus de la société civile, et ces officiers transfuges, qui sont certes mouillés dans les crimes de l’ancien régime, mais qui aujourd’hui acceptent le jeu des réformes. Par exemple : l’interdiction de l’excision des femmes, l’abrogation du crime d’apostasie pour un musulman converti ou l’autorisation accordée aux Chrétiens de boire de l’alcool.

Et puis surtout, ils ont imposé la dissolution des milices islamistes qui étaient le fer de lance de cette politique de nettoyage ethnico-religieuse menée pendant 30 ans par Omar el-Bechir. Or vouloir aujourd’hui poursuivre absolument les chefs de l’armée devant un tribunal international pour leur complicité passée, cela pourrait faire sérieusement dérailler le processus de démocratisation en cours qui reste quand même très fragile. Et c’est pourquoi les opposants civils préfèrent à ce stade un procès qui se tienne au Soudan et qui permette à la fois de rendre justice aux victimes sans torpiller les efforts de réconciliation nationale.