Chaque jour, Vincent Hervouet traite d’un sujet international.
Depuis samedi, l’armée turque mène l’offensive en Syrie contre les milices Kurdes de la région d’Afrine. Elle veut briser les peshmergas sur lesquels s’appuyait la coalition anti Daech.
C’est justement parce que les Américains recrutaient ces miliciens et forgeaient une armée de 30.000 hommes pour contrôler la frontière nord de la Syrie que la Turquie a lancé ses chars et ses bombardiers. Elle veut tuer ce projet dans l’œuf.
Pour les Turcs, les Unités de protection du Peuple, ce sont des terroristes kurdes, une filiale du PKK contre lequel ils mènent une guerre sans merci depuis près de quarante ans.
Pour les Occidentaux, au contraire, les Peshmergas sont ceux qui ont tenu Kobané, infligeant à Daech sa première défaite, ceux qui ont pris Raqqa, la capitale syrienne du califat. Ils sont les fantassins de la coalition.
C’est un nouveau front en Syrie. Est-ce que c’est une nouvelle guerre qui commence entre Turcs et Kurdes ?
En Syrie, il y a et il y a eu plusieurs guerres à la fois. La guerre civile, la guerre à Daech, la guerre des Arabes et des Iraniens, celle des Russes, etc. Il y a tant d’acteurs, trop de retournements d’alliances, plus de règle du jeu. Comme au Liban autrefois, c’est un bazar.
La bataille en cours à Afrine risque de s’étendre à Kobané et Djezhiré, les deux autres enclaves kurdes. C’est une guerre de cantons, pas une guerre mondiale. Mais toutes les puissances sont au balcon.
Le chef de l’armée turque était à Moscou la semaine dernière, il a obtenu un feu vert des Russes ?
Les Russes sont trop contents d’humilier les Américains et de diviser l’Otan ! Ils n’aiment pas trop les milices arabes qu’utilise Ankara, des anciens du front al Nosra, toutes sortes de fanatiques tukrmènes et wahabites. Ils se disent qu’ils s’en occuperont plus tard.
REcep Tayip Erdogan lui n’a aucun complexe. Depuis trois jours, sa campagne de bombardement s’appelle Rameau d’Oliviers !
Au bout du compte, la Turquie est brouillée avec tous ses voisins mais elle a deux constantes. Primo, sa ligne rouge est intangible. La Turquie refuse tout embryon d’État kurde à sa frontière, qui entretiendrait la menace séparatiste chez elle. Avis aux Américains qui sont tentés de jouer le démembrement de la Syrie.
L’autre constante de la politique turque ?
Sa capacité de nuisance. Les Européens ne bougeront pas le petit doigt pour sauver les Kurdes. Ils ont besoin que la Turquie continue de bloquer les migrants. Et qu’elle continue de filtrer les djihadistes qui veulent rentrer à la maison.
Les Kurdes sont condamnés ?
Ils sont bons pour la guerre. Pas pour l’après-guerre. Elle leur a été fatale en Irak. Ils ont perdu les champs de pétrole et l’indépendance de facto dont ils jouissaient. En Syrie, idem. Ils ont parié sur les Américains au lieu de négocier avec Damas et avec les Russes. Ils risquent de tout perdre.