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Chaque jour, Bruno Donnet regarde la télévision, écoute la radio et scrute les journaux ainsi que les réseaux sociaux pour livrer ses téléscopages. Ce jeudi, il revient sur l'enquête sur les cartes de drogue qui a coûté la vie au journaliste Rafaël Moréno et qui a été reprise et terminée par "Forbiden Stories", un groupement de journalistes.

Tous les jours, Bruno Donnet observe la fabrique médiatique. Ce matin, il voulait parler du travail de « Forbiden Stories », un groupement de journalistes qui vient tout juste d’achever une enquête, commencée par un reporter qui a été assassiné.

L’histoire c’est celle d’un journaliste qui a toujours dit la vérité.

Il était colombien, il avait 37 ans, il s’appelait Rafaël Moréno et, alors qu’il recevait très régulièrement des menaces de mort et des balles de revolver dans des enveloppes, voilà ce qu’il avait promis, l’été dernier, face caméra, à tous ceux qui voulaient l’empêcher de travailler : « Si vous voulez me tuer, tuez-moi. Mais je vous le dis, vous ne me ferez pas taire ! »

Et bien, Rafaël Moréno disait la vérité !

Car Rafaël Moréno enquêtait sur les cartels de la drogue et sur la corruption qui gangrènent son pays. Il avait créé un média, auquel était abonnés 56.000 personnes. Et sur sa page Facebook, dans un style très véhément, il balançait, très régulièrement des révélations et des accusations : « Ils ont volé mille millions de pesos en 50 jours. »

Ici, par exemple, il affirmait que les barons de la drogue marchaient main dans la main avec certains élus et qu’ils avaient « volé mille millions de pesos en 50 jours ».

Le 16 octobre dernier, Rafael Moréno a pris trois balles de revolver en pleine tête. Il a laissé la grande enquête journalistique qu’il préparait, une femme et trois enfants orphelins. Au parlement de Colombie, les députés ont demandé une minute de silence pour saluer sa mémoire : « Une minute de silence pour l’assassinat du journaliste Rafaël Moréno Garavito. »

Seulement voilà, avant de mourir assassiné, Rafaël Moréno avait pris une petite précaution. Il avait contacté Forbiden Stories, ce groupement de 32 médias, répartis partout dans le monde, auquel il avait livré son agenda, ses contacts et toutes ses enquêtes.

Voilà pourquoi, lorsqu’il disait que même mort, on ne le ferait pas taire, Rafaël Moréno disait la vérité !

Car le journaliste Laurent Richard, qui dirige Forbiden Stories, l’a dit publiquement, hier, sur la chaîne France 24, son association avait scellé un pacte avec le reporter colombien : « Il avait décidé de partager avec nous les enquêtes sur lesquelles il travaillait pour que si jamais il lui arrivait quoi que ce soit, nous puissions poursuivre son travail (…) et c’est ce que nous avons fait. »

Pendant six mois, 30 journalistes d’investigation ont donc repris le travail de Rafaël Moréno. Ils ont poursuivi sa mission et depuis hier leur enquête est disponible sur de très nombreux médias. En France on peut la découvrir dans les colonnes du Monde ou sur l’antenne de RFI. Mais le Guardian britannique, Le Soir Belge ou encore l’espagnol El Pais, publient, eux aussi, cette édifiante enquête.

On y apprend, preuves à l’appui, que 99 contrats publics ont été signés avec des entreprises, qui toutes appartiendraient à des proches des empereurs de la drogue colombienne et qu’au total, c’est trois millions d’euros qui auraient été détournés.

Mais l’essentiel n’est pas là. Car l’essentiel, c’est bel et bien le message, extrêmement ferme et admirable d’opiniâtreté, que Forbiden Stories adresse finalement à tous ceux qui, partout dans le monde, tentent de faire taire les journalistes. Un message que Laurent Richard a parfaitement bien résumé hier : « Ce qui est important dans la collaboration, c’est qu’elle apporte de la protection. Ça ne fait aucun sens de tuer un reporter s’il y en a 30 autres qui sont en train de faire exactement la même chose ! »

Le partage du travail, des enquêtes et des révélations agit comme un formidable boomerang. Mais c’est aussi un talisman épatant et peut-être LA solution pour protéger les journalistes.

L’année dernière, en 2022, 86 confrères ont été tués. Parmi eux, il y avait Rafaël Moréno : « Si vous voulez me tuer, tuez-moi. Mais je vous le dis, vous ne me ferez pas taire ! »

Rafaël Moréno, l’homme qui disait la vérité.