"On a tiré sur le président"

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SAISON 2019 - 2020

En 1964, Lyndon Johnson, l’homme qui a prêté serment à côté de Jackie Kennedy et son tailleur ensanglanté, arrive à la Maison-Blanche. Dans le cinquième épisode du podcast Mister President par Europe 1 Studio sur l'histoire des présidentielles américaines, Olivier Duhamel revient sur l'élection qui suivit l'assassinat de JFK.

En novembre 1963, un drame, l'assassinat du président Kennedy à Dallas, bouleverse les Etats-Unis et change le cours de l'Histoire. Comme le prévoit la Constitution, Lyndon Johnson, le vice-président, assure la transition et prête serment avant qu'une nouvelle présidentielle soit organisée l'année suivante. Le démocrate ne fera qu'une bouchée du républicain Goldwater. Dans le cinquième épisode du podcast Mister President par Europe 1 Studio, Olivier Duhamel vous raconte comment un ancien fermier texan est devenu le 36ème président des Etats-Unis. 

Ce podcast est réalisé en partenariat avec l'Institut Montaigne

 

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Ce vendredi 22 novembre 1963, à 20 h, le général de Gaulle éteint son bureau de l’Élysée. Le secrétaire général de la présidence de la République vient à sa rencontre et lui annonce : "on a tiré sur le président Kennedy". Il est 13h30 à Dallas, Texas, Kennedy vient d’être assassiné. Le monde entier l’apprend aussitôt.

De Gaulle décide de mettre en berne les drapeaux sur tous nos édifices publics, quatre jours durant et non pas seulement le jour de l’enterrement comme le voudrait le protocole. Éric Branca raconte dans son livre "De Gaulle et les grands", paru chez Perrin début 2020, qu’à la fin du conseil des ministres tenu 5 jours après l’assassinat, De Gaulle a lâché : "Ce qui est arrivé à Kennedy, c’est ce qui a failli m’arriver. Son histoire, c’est la mienne". Les États-Unis sont en état de choc.

JFK, dans son cercueil, est embarqué à bord d’Air Force One à 14h14, suivi par son épouse, choquée de voir Johnson à bord. Un quart d’heure plus tard, soit 98 minutes seulement après la mort de JFK, le 36e Président des États-Unis prête serment devant Jackie Kennedy, sa robe rose tachée des morceaux de cervelle de son mari, elle refuse de se changer : "Je veux qu’ils voient ce qu’ils ont fait. "

Johnson devient le 36ème président des États-Unis. Johnson, texan s’il en fut, fils d’un fermier devenu député au Parlement du Texas. Johnson, d’abord prof enseignant l’art de débattre. Johnson, politicien par excellence, assistant parlementaire puis directeur d’une agence d’État, intronisé franc-maçon, candidat et élu à la Chambre des représentants en.. 1936, puis sénateur, lors de sa seconde tentative, en 1948. 

Johnson, le VP devenu président

Les débuts de Johnson à la Maison-Blanche se passent bien, hors les grincements constants avec Robert Kennedy, toujours ministre de la Justice, et les conseillers de JFK encore en poste. Robert Kennedy, surnommé Bob ou Bobbie, fils de son père Joseph, né en 1925, frère de son grand frère John qui était né en 1917, ancien de Harvard, comme lui, Robert tout au service de JFK, aussi beau gosse, presqu’aussi coureur, amant de Marilyn Monroe. Bob est cependant tout à la fois plus réservé et plus idéaliste que son frère. Lorsque ce dernier devenu président parvint à le convaincre de devenir son Attorney general, c’est-à-dire ministre de la Justice, il se consacra à une lutte acharnée contre la mafia. Vu la popularité des Kennedy, Johnson le maintient à son poste lorsque devenu Président il termine le mandat de JFK assassiné.

Progressiste sur le plan intérieur, Johnson lance un programme de guerre contre la pauvreté et réussit à faire voter le Civil Rights Act, la loi sur les droits civiques prohibant la ségrégation et toutes discriminations, y compris dans l’inscription sur les listes électorales. Impérialiste à l’extérieur, il soutient les dictatures militaires à Haïti comme au Paraguay, et même le coup d’État du 31 mars 1964 au Brésil. La plupart des Américains ne lui en font pas reproche…

Un seul candidat fait campagne contre Johnson dans les primaires, George Wallace. Wallace, fils de fermiers ruinés, d’abord juge plutôt libéral, puis politicien de plus en plus raciste, Wallace qui a déclaré au lendemain de son élection comme gouverneur de l’Alabama, en 1962 : "segregation now, segregation tomorrow and segregation forever" , " la ségrégation, maintenant, demain, toujours", sans parvenir à menacer le Texan. Wallace qui le 11 juin 1963 se posta devant l’Université d’Alabama pour tenter sans succès d’empêcher les soldats envoyés par Kennedy de faire entrer un étudiant noir, bref Wallace le raciste ne parvient pas à gêner Johnson durant les primaires.

Le président en exercice est donc désigné sans problème à la Convention démocrate. Les débats ne se sont animés que sur l’acceptation des délégués du Mississipi, désignés par une "white primary", une primaire réservée aux blancs. Oui, cela existait encore, dans les années soixante, aux États-Unis. Le vrai suspense porte sur la désignation du candidat à la vice-présidence. Robert Kennedy la vise, Johnson n’en veut pas. Politicien averti, il a d’abord annoncé qu’aucun membre de son gouvernement ne pourrait figurer sur le ticket, puis façonné le programme de la convention afin que Bob Kennedy ne puisse y prononcer son discours qu’une fois le ticket formé avec Hubert Humphrey. Trois mois après, Bob Kennedy se fera élire sénateur de New-York.

Une bataille plus âpre chez les républicains

La bataille pour l’investiture s’avère autrement plus âpre chez les républicains. Le parti se trouve très divisé entre son aile modérée, puissante dans les États du Nord-est, et son aile conservatrice, basée à l’origine dans les États du Midwest mais qui prospère dans ceux du Sud. Nelson Rockefeller porte le drapeau plus libéral, Barry Goldwater celui des réactionnaires. Goldwater, fils de commerçant aisé, fut d’abord démocrate et ami de Kennedy, détestant tant Nixon que Johnson. Il passa dans le camp républicain avant de se faire élire sénateur de l’Arizona en 1952. Goldwater avait voté les premières lois sur les droits civiques mais s’opposa à celle de Johnson qui les étendait.

Au départ, Rockefeller part favori. Mais la vie privée va s’immiscer dans la vie publique. En 1963, deux années après avoir divorcé, Rockefeller épouse Margaretta Happy Murphy, de 18 ans plus jeune que lui. Pire, elle vient de divorcer, laissant ses quatre enfants à la garde de leur père. Rockefeller est traité de wife stealer, voleur d’épouse. Le sénateur du Connecticut, Prescott Bush, père de George senior et de George junior, deux futurs présidents, déclare : "Have we come to the point in our life as a nation where the governor of a great state—one who perhaps aspires to the nomination for president of the United States—can desert a good wife, mother of his grown children, divorce her, then persuade a young mother of four youngsters to abandon her husband and their four children and marry the governor".  " Avons-nous atteint le point dans notre vie en tant que nation où le gouverneur d’un grand État, qui aspire peut-être à être désigné président des États-Unis, peut abandonner une bonne épouse, mère de ses enfants, en divorcer, puis persuader une jeune mère de quatre jeunes enfants d’abandonner son mari et ses quatre enfants et d’épouser le gouverneur ?  "

Les primaires vont faire la décision. Surprise pour commencer, un non-candidat, plus exactement un "write-in candidate", un candidat sans bulletin mais dont on peut inscrire le nom, Henry Cabot Lodge, le candidat à la vice-présidence derrière Nixon en 1960, gagne la primaire. Il l’emporte encore ensuite dans la primaire du New-Jersey, mais annonce ensuite qu’il ne veut pas concourir. C’est alors Goldwater qui gagne une flopée de caucus, ces assemblées de base où l’on discute pour sélectionner son candidat, et de primaires, élections classiques, jusqu’à la plus importante, celle de Californie. Rockefeller part archi-favori. Sa jeune épouse accouche trois jours avant le vote à la primaire. Les accusations d’adultère prolifèrent. Goldwater gagne la primaire.

La campagne contre Goldwater se déchaîne 

La Convention républicaine se tient à Daily city, ville de 100.000 habitants dans la baie de San Francisco, à la mi-juillet. Barry Goldwater, le quasi-extrémiste, est désigné. Il provoque en citant Cicéron : "Je vous rappelle que l’extrémisme dans la défense de la liberté n’est pas un vice. Et laissez-moi vous rappeler aussi que la modération dans la recherche de la justice n’est pas une vertu. " Les modérés n’apprécient pas. Nelson Rockefeller, George Romney et d’autres figures du parti républicain refusent de faire campagne pour lui. Le New York Herald-Tribune, soutien habituel des républicains de la côte Est, décide de soutenir Johnson.

La campagne contre Goldwater se déchaîne, évoquant sa déclaration selon laquelle il faudrait envoyer une bombe nucléaire au cœur du Kremlin. 1.189 psychiatres signent un texte selon lequel Goldwater serait "émotionnellement instable". En sens inverse, un acteur un peu célèbre fait une intervention télévisée en faveur de Goldwater. Elle est jugée si bonne que le candidat l’utilise dans des spots télévisés à travers le pays. L’acteur en question s’appelle Ronald Reagan.

Moment fort dans la campagne : les équipes de Johnson diffusent un spot de publicité politique dénommé "Daisy Girl" et montrant une petite fille face au décompte de l’explosion d’une bombe nucléaire, Goldwater prônant l’usage d’armes nucléaires tactiques au Vietnam. Le slogan de Goldwater proclame : "In your heart, you know he’s right" . "Dans votre coeur vous savez qu’il a raison." Le camp Johnson réplique : "In your guts, you know it’s guts. "Dans vos tripes, vous savez que ce sont des folies ". Ou même : "In your heart, you know he might… " En votre coeur, vous savez qu’il pourrait… " Et chacun comprend… qu’il pourrait déclencher une guerre nucléaire.

Moyennant quoi, le mardi 3 novembre, Lyndon Johnson écrase Barry Goldwater en obtenant 61% des votes populaires. Record absolu – un chouïa mieux que Franklin Roosevelt. À l’arrivée, 486 grands électeurs votent Johnson, 52 seulement Goldwater, autre record.  Le Texan l’emporte dans tous les États sauf l’Arizona – dans lequel son rival est né, ainsi que les États du Deep South, du Sud profond, Louisiane, Mississippi, Géorgie, Alabama et Caroline du sud. Si l’échec de Goldwater est cuisant, sa percée dans les États ségrégationnistes du Sud est une grande première pour les républicains. Voici donc Johnson sur le Capitole, précisément à la Maison-Blanche.

Leçon n°6 : Un candidat peut être écarté à cause de sa vie privée. Rockefeller l’a montré en 1964. Dominique Strauss-Kahn, pour des raisons autrement plus graves, le montrera en 2011. 

En 1964, Johnson est donc plébiscité. Mais la lune de miel ne va pas durer quatre ans. La guerre du Vietnam ne cesse de s’aggraver. Elle va creuser le tombeau de la présidence johnsonienne. C’est l’objet du prochain épisode. 

Mister President par Europe 1 Studio" est un podcast imaginé par Olivier Duhamel

Préparation : Capucine Patouillet
Réalisation : Christophe Daviaud (avec Matthieu Blaise)

Cheffe de projet édito : Fannie Rascle
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Mikaël Reichardt
Archives : Patrimoine sonore d’Europe 1 avec Claude Guillaumin (22 novembre 1963) et Philippe Labro (22 novembre 1963)

Voix off en anglais : Robert Thomson

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