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SAISON 2019 - 2020

En 1972, Richard Nixon se fait réélire sans grande difficulté à la Maison-Blanche. Il sera désavoué deux ans plus tard avec le scandale du Watergate. Dans le septième épisode du podcast Mister President par Europe 1 Studio sur l'histoire des présidentielles américaines, Olivier Duhamel revient sur le triomphe et la descente aux enfers de Nixon mais aussi sur la victoire surprise d'un démocrate de Georgie : Jimmy Carter.

Une victoire écrasante, un scandale d'Etat, un inconnu qui tire son épingle du jeu… Les élections présidentielles de 1972 et de 1976 ont été marquées par plusieurs rebondissements inattendus. Dans le septième épisode du podcast Mister President par Europe 1 Studio, Olivier Duhamel vous raconte comment les Républicains ont triomphé avant de sombrer. Il revient aussi sur l'ascension de Jimmy Carter, le démocrate que personne n'attendait. 

Ce podcast est réalisé en partenariat avec l'Institut Montaigne

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En 1972, la réélection du républicain Nixon ne faisait guère de doute. Et les certitudes d’avant-élection furent confirmées. La campagne n’en connut pas moins quelques épisodes imprévus qui méritent d’être relatés. Chez les démocrates, Edward Kennedy, le jeune frère de John et Robert, ayant renoncé à se présenter, le favori devient Edmund Muskie, l’austère sénateur du Maine, candidat à la vice-présidence des démocrates en 1968. Mais il va exploser en vol, pour une phrase malencontreuse volée et rapportée.

Des coups bas...

Temps 1. "The Cannuck letter". Cannuck, terme d’argot pour dénigrer les Canadiens français. Le 24 février 1972, deux semaines avant l’importante primaire du New Hampshire, un journal, The Manchester union leader, publie une lettre qui raconte que lors d’une réunion de l’équipe de campagne de Muskie, un participant a demandé au candidat comment il ferait pour comprendre les problèmes des Afro-américains alors qu’il y a si peu de Noirs dans son État, le Maine. Un des membres du staff aurait répondu "Nous avons bien des Cannuks". Et Muskie aurait rigolé. Apparemment rien de très méchant, sauf que le New Hampshire compte pas mal de descendants des Canadiens français.

Temps 2. Deux jours plus tard, Muskie se rend devant le siège du journal et, durant son discours protestant contre les mensonges de cette lettre, il aurait pleuré. Trois fois. La presse raille ensuite "the Crying speech", le discours larmoyant. Muskie réplique qu’il ne s’agissait que d’une voix brisée, et que les prétendues larmes n’étaient que traces de neige. Qu’importe ! Le mal est fait. Muskie devait triompher dans le New Hampshire, il ne l’emporte que de justesse sur le candidat pacifiste George McGovern. McGovern est le petit-fils d’un immigré irlandais alcoolique, et le fils d’un pasteur méthodiste. George McGovern est un héros de la Seconde guerre mondiale, devenu professeur d’histoire, puis entré en politique. Il réussit, en 1956, à se faire élire dans le Dakota du sud à la surprise générale. Battu lorsqu’il se présente au Sénat en 1960, Kennedy le nomme directeur du programme humanitaire Food for peace, "de la nourriture pour la paix". En 1962, il revient en politique active et gagne cette fois l’élection au Sénat. Et dix ans après, le voici lancé dans la course à la Maison-Blanche.

Muskie est favori dans le New Hampshire. Mais McGovern, l’homme des succès électoraux inattendus, le talonne. Muskie voit monter le mouvement pacifiste qui va porter son rival. Il doit renoncer. Quelques mois après, une enquête du FBI révélera que le coup de la lettre a été monté par des membres du Comité républicain pour la réélection de Nixon. Muskie n’avait jamais dit ça. La "Cannuck letter" reste dans l’histoire des présidentielles comme un modèle des "dirty tricks", littéralement des sales tours, des coups bas donc.

 ...et un drame chez les démocrates !

La campagne pour l’investiture démocrate est ensuite marquée par un drame. Le gouverneur de l’Alabama, le ségrégationniste George Wallace, est revenu chez les démocrates et obtient des résultats significatifs dans plusieurs primaires. Il se fait tirer dessus le 15 mai par un déséquilibré en quête de notoriété qui avait tenté sans succès d’assassiner Nixon. Longtemps hospitalisé, puis en chaise roulante, Wallace ne peut plus progresser.

McGovern, soutenu par le mouvement étudiant pour arrêter la guerre du Vietnam, gagne les primaires démocrates. Suite aux affrontements de la Convention de 1968, les règles ont été changées, ce sont les délégués lors des primaires qui priment. La Convention réunie le 10 juillet à Miami Beach désigne McGovern dès le premier tour. Elle finit par choisir un relatif inconnu, Thomas Eagleton, sénateur du Missouri, comme candidat à la vice-présidence. Quelques jours après, la presse révèle qu’il a été victime de dépression, subi un électrochoc, et qu’il boirait plus que de raison. McGovern le soutient. L’appareil démocrate le décroche. Il est finalement remplacé en catastrophe par Sargent Shriver, ancien ambassadeur en France, et, surtout, le mari de Eunice Kennedy, sœur de John.

La désignation de McGovern permet à Nixon de triompher, en tête dans 49 États sur 50 et obtenant 60,7% des voix. Moins de deux ans plus tard, l’affaire du Watergate le contraint à la démission. Qu’est-ce qu’une démocratie ? Un système de gouvernement dans lequel le peuple choisit ses dirigeants, et dans lequel le pouvoir doit respecter les droits fondamentaux. Le premier principe a fait triompher Nixon. La violation du second l’a perdu.

Leçon n° 7 : Un coup monté, vrai ou faux, peut tuer une candidature s’il n’est pas étouffé dans l’œuf. Le favori démocrate Muskie en fit les frais. Pour beaucoup à droite, Fillon fut victime d’un coup de force judiciaire en 2017. 

Leçon n° 8 : Le passé médical d’un candidat peut ressurgir et l’obliger à renoncer. Eagleton a dû céder sa place de candidat à la vice-présidence. En France, François Mitterrand sut l’éviter en cachant longtemps sa maladie.

Grâce à la campagne de 1972, Nixon a été facilement reconduit à la Maison-Blanche. À cause de la campagne de 1972, et d’un cambriolage du siège démocrate ensuite caché, Nixon va devoir quitter la Maison-Blanche.

1976 : Carter le candidat que l'on attendait pas

Août 1974 : Nixon a démissionné pour éviter d’être révoqué. Le Sénat l’aurait démissionné, il a préféré anticiper. Son vice-président, Gerald Ford, lui succède à la Maison-Blanche. Ford n’a pas été élu, mais nommé par Nixon après que le vice-président Spiro Agnew a été contraint de démissionner en octobre 1973 pour fraude fiscale. Sa désignation comme candidat ne va pas de soi. Elle est principalement contestée par l’ancien gouverneur de Californie, vous vous souvenez, l’ex-acteur de cinéma Ronald Reagan, qui avait déjà tenté d’être désigné en 1968 et 1970. Les primaires sont très disputées. Ford en sort avec une courte avance, en-deçà cependant de la majorité des délégués nécessaires pour battre Reagan. Les deux candidats courtisent activement la bonne centaine de délégués non affiliés, principalement ceux de l’Illinois et du Mississipi. Ford est finalement choisi avec une majorité de 117 délégués. Il choisit Robert Dole, sénateur du Kansas, comme candidat à la vice-présidence.

Mais qui lui opposer chez les démocrates ? Les candidatures se bousculent. Aucune ne s’impose a priori. Un inconnu surgit alors. Ancien producteur de cacahuètes, gouverneur de Géorgie, James Carter, dit Jimmy Carter, fait une campagne active lors du premier moment de la campagne pour l’investiture, le traditionnel caucus de l’Iowa. Il l’emporte. Et peu après, le scénario se répète lors de la première, toujours première, primaire, celle du New Hampshire. Ensuite, tel Horace face aux Curiaces, il élimine ses rivaux un par un, primaire après primaire. Une campagne ABC "Anybody But Carter", "Tout sauf Carter" est lancée par les caciques du parti démocrate, mais trop tardivement. A la mi-juillet, la Convention démocrate réunie à New York le choisit dès le premier tour.

La gaffe de Ford

Fort de ce succès, Carter devient largement favori pour l’élection proprement dite, menant très largement dans les sondages. Mais petit à petit, Ford réduit l’écart. Il joue de sa position institutionnelle, reçoit, devant les caméras, la reine Elisabeth II et le prince Philip à la Maison-Blanche et développe une campagne que les Américains appellent Rose garden, quand un président candidat à sa réélection utilise sa fonction et se montre en permanence dans le jardin de roses de la Maison-Blanche. Du premier débat télévisé, il se sort bien. Au deuxième, surgit le couac fatal. Le 6 octobre, devant 64 millions de téléspectateurs, il lâche cette phrase : "Il n’y a pas de domination soviétique en Europe de l’Est, et il n’y en aura pas sous une administration Ford ". Et il ajoute même qu’il ne pense "pas que les Polonais se considèrent dominés par l’Union soviétique". Phrase insensée qui stoppe définitivement sa progression.

Le résultat de l’élection, très serré, n’est donné qu’à trois heures et demie du matin. Carter 50%, Ford 48%, ce qui donnera une avance de 53 grands électeurs. L’inconnu de Géorgie devient président des États-Unis. Quelles leçons tirer de l’élection de 1976 ?

Leçon n° 9 :  Un candidat inconnu peut surgir dans la campagne puis gagner l’investiture et l’élection. À peu près personne ne connaissait Jimmy Carter hors la Géorgie. Combien de Français connaissaient Emmanuel Macron deux ans avant l’élection de 2017 ?

Leçon n° 10 : Une gaffe dans un débat peut contribuer à vous faire perdre l’élection. Gérald Ford l’a montré. Marine Le Pen paya cher son fiasco lors du débat de 2017.

Carter président, est-ce le retour durable des démocrates à la Maison-Blanche ? Ou n’est-ce qu’une parenthèse ? Cela se joue, comme toujours aux États-Unis, quatre ans plus tard. C’est notre prochain épisode.

"Mister President par Europe 1 Studio" est un podcast imaginé par Olivier Duhamel

Préparation : Capucine Patouillet
Réalisation : Christophe Daviaud (avec Matthieu Blaise)

Cheffe de projet édito : Fannie Rascle
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Mikaël Reichardt
Archives : Patrimoine sonore d’Europe 1 avec interview de Pierre Salinger par André Arnaud (18 juillet 1972)