Portrait de Marianne, symbole de la République française

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Marc Messier revient sur le symbole que représente Marianne dans l'Histoire de France.

Une idée entêtante, une femme entêtée. Ses pieds nus, ses seins à l’air. Une allégorie, une chanson populaire. Le début des années 70, les cheveux longs à la place des bonnets phrygiens. Que Marianne était jolie quand elle embrasait le ciel de Paris. Un  refrain de Delpech, un tableau de Delacroix, un siècle et demi plus tôt.

Une héroïne dépoitraillée sur les barricades de l’insurrection, la Liberté guidant le peuple, sur les ruines de la restauration, les Fleurs de Lys piétinées, le drapeau Bleu-Blanc-Rouge gonflé d’espérance, la République triomphante à la mode romantique.

1830, 1973, 2017, les 3 glorieuses, les 30 glorieuses, puis depuis 30 ans, plus grand-chose de très glorieux. Le temps et les Républiques sont passés: Delacroix est au Louvre, Delpech dans un autre monde. Marianne a 5 enfants, qu’elle a élevé de son mieux, des problèmes avec son dernier, le botox qui ne comble plus ses rides, au coin des yeux.

Marianne ou l’histoire d’une idée née en 1792 sur les cendres de la Bastille. Les balbutiements de la première République. Marianne, le mariage de Marie et d’Anne, les deux prénoms féminins les plus répandus dans la France Catholique du XVIIIème siècle. Des prénoms de bonnes et de paysannes, des prénoms de femmes du peuple, de femmes qui labourent les champs, des femmes à gros lolos qui donnent la tétée aux tout petits. Le profil se dessine, rapidement, Marie et Anne ne feront plus qu’une. Une seule Marianne pour personnifier la liberté : l’amante des révolutionnaires, puis la République : la compagne des démocrates. Marianne, la mère patrie, la mère nourricière, la mère protectrice. Un prénom pour un symbole, des traits antiques pour l’incarner, un visage sur une idée, de la chair pour la rendre plus vivante.

Marianne, coiffée du bonnet de l’ancienne Phrygie, le royaume de Midas, pas loin de la Cappadoce. Le bonnet des insoumis antiques, celui des esclaves affranchis dans l’empire romain. Les sans-culottes se le mettront sur la tête, Louis XVI aussi, quelques instants seulement, un jour de juin 1792, un signe d’apaisement, six mois avant d’être guillotiné. La laine des pauvres, le rouge de la Révolution. Le bonnet phrygien que Marianne laissera quelquefois de côté, pour une couronne d’épis de blés, comme le diadème du peuple. Une Marianne moins désobéissante, plus docile, fichant moins la trouille au bourgeois.

Une Marianne mal vue sous l’empire, traitée de gueuse, sous la restauration. Quelques années de clandestinité,  elle réapparaîtra éclatante et victorieuse, en 1830, sous le pinceau d’un Delacroix aussi bonapartiste qu’exalté. Sa Marianne seins au vent, couverte de boue, sera chérie par tous les profs d’histoire et imprimées sur tous nos anciens billets de 100 francs. La Marianne du peintre réconciliera la Révolution et l’Empire, les soubresauts de la France, ses passions éphémères, les républiques comme les derniers grands chapitres de notre roman national.

Ce sont les communards, en 1871, qui installeront définitivement Marianne sur le fronton de la France, Napoléon III sorti des mairies, par la peau du marbre, Marianne posant son buste sur les sellettes de la 3ème République. Des bustes de plâtre, d’albâtre ou de bronze. Jamais de modèle officiel. Pendant longtemps, ce seront des femmes anonymes, des inconnues, plus ou moins gracieuses qui prendront la pause. La République aux 1.000 visages, Le premier d’entre eux, l’originel, est celui d’une anglaise, Mary Ann Burtch, devenue Marianne de Lamartine, la muse et l’épouse du poète, la première femme à avoir offert son buste à la France en 1848.

Plus d’un siècle plus tard, la blague d’un artiste fera basculer Marianne dans le star-système: Alain Aslan dessine, sculpte, il est fou de pin-up, travaille pour le magazine Lui, et s’amuse un jour de 1969, à faire de Brigitte Bardot une Marianne. B-B en plâtre, une beauté dont va s’éprendre le maire d’un petit village d’Eure et Loire. B-B trônant dans sa mairie de Thiron-Gardais, la France adorera cette nouvelle image de la République. Le Louvre en fera mouler 20.000 répliques.

Un canular qui marquera la fin de l’anonymat pour Marianne, qui prendra successivement les traits de Michèle Morgan, de Mireille Mathieu, d’Inès de la Fressange, de Laeticia Casta ou en encore d’Inna Chef Chen Ko, la fondatrice des Femen, la dernière Marianne en date, une Ukrainienne, certes émancipée, mais née bien loin de la Bastille. On oubliera aujourd’hui ces Marianne, dénaturées,  travesties par le système médiatique. Nous aurons une petite pensée aujourd’hui pour la Marianne née dans la France de 1790, celle qui était si jolie quand elle marchait dans les rues de Paris.