Nomination d'Alain Juppé au Conseil constitutionnel : "On ne pense pas aux décisions qu’il aura à prendre, et qui demandent une expertise qu’il n’a pas"

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Chaque dimanche, Hervé Gattegno, directeur de la rédaction du "Journal du dimanche", livre son édito sur Europe 1.

 

Bonjour Hervé Gattegno. Ce matin, vous voulez revenir sur la nomination d’Alain Juppé au Conseil constitutionnel – mais ce n’est pas tant la fin de la carrière politique du maire de Bordeaux qui vous intéresse, que ce que cette nomination nous dit sur nos institutions. Vous trouvez que ce n’est pas une bonne nouvelle ?

Franchement, non. Je suis désolé de ne pas partager l’émotion d'Alain Juppé, qui a eu les larmes aux yeux pour annoncer qu’il quittait sa mairie ; et je ne participe pas non plus au concert d’hommages qui a accueilli sa nomination. En fait, je trouve regrettable qu’on confie à un homme de 73 une fonction qui va durer neuf ans. Comme il s’agit de siéger dans une des plus hautes juridictions du pays, je trouve discutable qu’on choisisse un homme qui a été condamné par la justice dans une affaire de financement politique. Et comme le Conseil constitutionnel est chargé de vérifier la conformité des lois votées par le Parlement, je trouve invraisemblable qu’on continue à y nommer des politiques plutôt que des juristes. Donc on appelle les membres du Conseil constitutionnel des sages ; il me semble qu’il n’était pas très sage d’y nommer Alain Juppé.

Les nominations au Conseil constitutionnel sont forcément politiques puisqu’elles sont faites par le président de la République, le président de l’Assemblée et celui du Sénat. Vous pensez qu’il faudrait réformer ce point ?

Il faudrait surtout privilégier le critère de la compétence. Dans les cours constitutionnelles des autres démocraties, on nomme des professeurs de droit, des hauts magistrats, des avocats très chevronnés – chez nous, on a tendance à les sélectionner au mieux sur l’expérience qu’on veut honorer, au pire sur leur fidélité qu’on veut récompenser. Dans le cas d’Alain Juppé, on juge sa nomination à l’aune d’un parcours politique, qui est effectivement estimable, comme si c’était une récompense ; mais on ne pense pas aux décisions qu’il aura à prendre, et qui demandent une expertise qu’il n’a pas. D’ailleurs, je vous fais observer que sa nomination doit encore être approuvée par une commission parlementaire mais que lui-même considère que c’est déjà fait puisqu’il a annoncé sa démission de la mairie de Bordeaux. C’est une façon d’inaugurer ses fonctions de juge en bafouant la procédure – il y a des débuts plus prometteurs.

La nomination d’Alain Juppé est proposée par Richard Ferrand, le président de l’Assemblée : donc c’est aussi un geste du pouvoir macroniste envers une figure de la droite. Il faut y voir un calcul politique ?

Il y a forcément une dimension politique, et même un peu tactique. En ce moment, Emmanuel Macron – dont on se doute bien qu’il a été associé à la nomination d’Alain Juppé – cherche à flatter l’électorat de la droite en lui adressant des clins d’œil. C’est sa ligne stratégique pour remonter dans les sondages et pour essayer de gagner les élections européennes. Il faut que la stratégie aventureuse de Laurent Wauquiez n’aide pas les Républicains à retrouver de la cohérence, donc c’est tentant pour Emmanuel Macron de les déstabiliser encore un peu plus pour ruiner son opposition ; mais ça ne devrait pas influer sur la composition du Conseil constitutionnel. On s’inquiète en ce moment de la perte de crédit de nos institutions ; c’est peut-être le moment d’en réaffirmer l’importance et même de leur donner plus de poids quand ce sont des contre-pouvoirs. C’est en pensant à cela, cette semaine, plus qu’au destin personnel d’Alain Juppé, qu’on pouvait verser une petite larme.