"Les 'gilets jaunes' découvrent que la démocratie représentative, c’est plus facile de la critiquer que de la mettre en place"

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Chaque dimanche, Hervé Gattegno, directeur de la rédaction du "Journal du dimanche", livre son édito sur Europe 1.

Bonjour Hervé Gattegno. Ce matin, c’est encore le feuilleton des ""gilets jaunes"" qui occupe l’actualité. D’après vous, après les nouvelles violences d’hier, est-ce qu’un dialogue est encore possible entre les manifestants et le pouvoir ?

Pas avec n’importe quels manifestants. Avec ceux qui attaquent, qui cognent, qui vandalisent, qui se comportent comme des brutes, il n’y a pas de discussion possible. Emmanuel Macron l’a dit, ceux-là, ils doivent être poursuivis et condamnés, sévèrement de préférence. Avec les autres, ceux qui expriment des inquiétudes, des frustrations et des colères, le dialogue est indispensable. Sauf que jusqu’ici, c’est un dialogue de sourds qui s’est instauré. Parce que le gouvernement a dit et redit qu’il ne reculerait pas ; et parce que les ""gilets jaunes"", eux, n’ont pas montré la moindre aptitude à dialoguer, encore moins à négocier puisqu’ils considèrent que le pouvoir est discrédité, illégitime.

Alors il y a quand-même des "gilets jaunes" modérés, des réalistes, des figures du mouvement, qui lancent un appel ce matin dans le JDD pour dénoncer la violence et ouvrir de vraies discussions. Ce n’est pas la fin de la crise, mais ça peut être le début d’une solution.

Le problème, c’est qu’il y a déjà eu la semaine dernière des porte-parole de la contestation qui ont été désignés, et ils ont été immédiatement contestés par la base des "gilets jaunes". Quelle est la solution ?

La meilleure solution qu’on connaisse, "la pire à l’exception de toutes les autres" comme disait Churchill, c’est la solution démocratique. C’est-à-dire l’organisation, la structuration de ce qui est au départ une fronde, une explosion de colère, pour que soit un mouvement qui ait des représentants, mais des représentants qui soient légitimes, qui ne se fassent pas menacer et insulter aussitôt qu’ils sont désignés – et puis il faut qu’ils aient un programme de revendications précises, pour qu’il y ait une base de discussion, un point de départ. Pour l’instant, on a vu un catalogue, un bric-à-brac de propositions qui sont à la fois jusqu’auboutistes et contradictoires – c’est difficile de réclamer moins d’impôts et plus d’Etat. La réalité, c’est que les "gilets jaunes" découvrent que la démocratie représentative, c’est plus facile de la critiquer que de la mettre en place.

Et le gouvernement, est-ce qu’il ne mise pas justement sur le pourrissement de la situation, ou sur le fait que les violences peuvent discréditer le mouvement ?

Il est évident qu’Emmanuel Macron et Edouard Philippe ont voulu gagner du temps en lançant cette concertation qui doit durer trois mois et dont on ne sait pas vraiment sur quoi elle va porter – en tout cas, si elle ne fait pas baisser le niveau des taxes, ils espèrent qu’elle fera au moins baisser la pression que les "gilets jaunes" ont mise sur eux. Seulement ils n’ont pas intérêt à ce que ça traîne trop quand-même parce que pendant ce temps-là, l’opposition est dans une surenchère démagogique extravagante : Marine Le Pen, Laurent Wauquiez, Nicolas Dupont-Aignan et François Hollande, c’est tous "gilets jaunes", tous pour la baisse des impôts, tous pour la hausse du pouvoir d’achat, avec nous ça n’arriverait jamais.

Evidemment, ça n’a aucune crédibilité mais ça tire encore le débat public vers les profondeurs et ça entretient la confusion, alors que dans ce brouhaha de doléances et de fake news, on aurait plutôt besoin de clarté. Le vrai pourrissement, il est là. Je ne crois pas qu’il profite à qui que ce soit. En tout cas, certainement pas à ceux qui espèrent dans les "gilets jaunes" pour améliorer leurs fins de mois.