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Chaque dimanche, Hervé Gattegno, directeur de la rédaction du "Journal du dimanche", livre son édito sur Europe 1.

Bonjour Hervé Gattegno. Avec la fin du grand débat national voulu par Emmanuel Macron, c’est maintenant le moment du bilan – avant celui des annonces. D’après vous, qui sont les gagnants et les perdants, s’il y en a, de cette expérience politique inédite ?

Parmi les perdants, il y a tous ceux qui n’ont pas voulu y participer, qui disaient que ça ne marcherait pas, que ça ne servirait à rien. On verra bien sur quoi ce grand débat peut déboucher mais en tout cas, ça a fonctionné. Je ne parle évidemment pas des one-man show d’Emmanuel Macron, qui étaient spectaculaires mais qui ont contribué en réalité à occulter le vrai fait politique : la participation de beaucoup de Français, dans les mairies – on parle de plus de deux millions des contributions dans les cahiers de doléances, c’est tout sauf négligeable.

Parce qu’à l’origine de la crise des "gilets jaunes", on a énormément parlé de récriminations fiscales et sociales ; mais il y avait aussi, je crois, une frustration démocratique – le sentiment que le citoyen n’a aucun moyen de peser sur les décisions politiques. Avec ce grand débat, on a eu un début de réponse.

On a beaucoup entendu aussi que l’un des reproches faits à Emmanuel Macron, c’était de dédaigner les fameux "corps intermédiaires". Est-ce que le grand débat peut avoir servi à les réhabiliter ?

Je ne sais pas si c’était le but mais à mon avis, ce n’est pas le résultat auquel on aboutit. Les syndicats, le patronat, les associations ne se sont pas fait entendre dans ces débats. Les partis politiques encore moins – au contraire, je dirais que cette séquence de démocratie directe, dans les mairies comme dans les échanges régionaux avec Emmanuel Macron, a encore augmenté le discrédit des partis. Parce que personne ne se tourne vers eux pour répondre aux attentes concrètes sur le pouvoir d’achat, sur la sécurité, sur la fiscalité, sur tout ce qui fait la vie quotidienne des Français.

Ce sont les maires qui sont les vrais gagnants

On peut le déplorer ou s’en féliciter, mais c’est ainsi. Les seuls élus qui échappent à cette déconfiture, ce sont les maires. Et de fait ce sont les maires qui sont les vrais gagnants. Parce que justement, on a vu à quel point leur rôle est essentiel. Dans ces débats-marathon, on a souvent vu Emmanuel Macron s’installer au milieu d’eux pour leur parler ; mais à l’arrivée, ce sont les maires qui sont revenus au centre du jeu.

Et le président de la République alors, c’est lui qui a lancé cette idée du grand débat : est-ce que vous le classez dans la catégorie des gagnants ou dans celle des perdants ?

Dans un premier temps, il a été gagnant, incontestablement. Il est descendu dans l’arène, il a montré qu’il n’a pas peur de la contradiction, il a fait son numéro – souvent impressionnant. Surtout, il a recréé une attente auprès des Français. Même ceux qui le critiquent sont suspendus maintenant à ce qu’il va dire. Et puis les Gilets jaunes l’avaient fragilisé, en retour c’est lui qui les a marginalisés. C’était son intention : il a voulu donner la parole à tous ceux qui n’étaient pas "gilets jaunes", pour montrer que la protestation constructive, c’est celle qui s’exprime dans le cadre démocratique.

Ça n’a pas si mal marché puisqu’au fil des semaines, le mouvement des "gilets jaunes" s’est étiolé et qu’Emmanuel Macron, lui, s’est regonflé. Mais attention, l’essentiel reste à faire. Il va devoir annoncer assez de mesures concrètes pour améliorer le sort de beaucoup de Français. Et aussi tracer des pistes pour rénover les pratiques démocratiques – ça c’est tout sauf évident parce que, comme ça a duré longtemps, l’attente est devenue une impatience. Donc Emmanuel Macron a gagné du temps. Il lui reste à convaincre qu’il ne nous a pas faire perdre le nôtre.