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Chaque dimanche, Hervé Gattegno, directeur de la rédaction du "Journal du dimanche", livre son édito sur Europe 1.

Bonjour Hervé Gattegno, après un cinquième samedi de manifestation, le mouvement des "gilets jaunes" marque nettement le pas. Vous voulez en tier un premier bilan. Pour vous, ce bilan, quel est-il ?

C’est un bilan très négatif. Désastreux pour nos finances publiques, préoccupant pour Emmanuel Macron, inquiétant pour le fonctionnement de notre démocratie. Commençons par ce qui est le plus concret : la facture du mouvement. Entre ce qu’aura coûté le ralentissement de l’économie, les pertes de recettes des commerçants, qui entraînent automatiquement des pertes de recettes fiscales, plus la dégradation de l’image de la France, donc de son attractivité, il est certain que tout cela se chiffre en milliards d’euros. Et bien sûr il faut ajouter les mesures annoncées par Edouard Philippe puis par Emmanuel Macron cette semaine, qu’on estime à au moins 10 milliards. Au total, pour contenter une partie des Français, ça fait une note très salée pour tous les Français.

Emmanuel Macron a reconnu lui-même qu’il y avait des injustices à corriger plus vite qu’il ne l’avait prévu, et qu’on avait demandé à certains, aux retraités par exemple, des efforts excessifs. Si les "gilets jaunes" l’ont obligé à y remédier, est-ce que ce n’est pas un aspect positif ? 

La réalité, c’est qu’Emmanuel Macron a été obligé de céder après trois semaines de violences sans précédent dans notre pays – après les manifestations d’hier, on en est à 8 morts et plus de 1.000 blessés, c’est du jamais vu dans un mouvement social depuis que la France est une démocratie. Il a bien fait de céder, parce que la menace sur le pays, sur les institutions devenait vraiment inquiétante. Mais enfin, on n’est pas obligé de faire semblant de croire que c’est la raison, et seulement la raison qui l’a emporté. C’est la violence, la menace, qui a fait plier le pouvoir. Sur le fond, on a le droit de penser que ce qu’ont obtenu les "gilets jaunes" constitue une avancée. Il n’empêche que la façon dont ils l’ont obtenu est un incontestablement un recul pour la démocratie.

Si Emmanuel Macron arrive maintenant à mettre vite en place les mesures qu’il a annoncées, est-ce qu’il ne peut pas quand-même en tirer un certain profit politique ?

J’ai du mal à le croire. Le fait d’avoir plié face à la rue ne peut pas lui valoir la reconnaissance de ceux qui l’ont fait plier ; en revanche, il peut susciter de la déception, chez ceux qui pensaient qu’il n’était pas un président qui recule. Dans cette épreuve, on a vu aussi que son équation politique, le fameux "et en même temps" a atteint sa limite. Il devait mener une politique favorable aux entreprises, pour relancer la croissance et l’emploi, une politique pour aider les plus fragiles, et en même temps tenir les déficits – il a commencé à le faire, mais ça n’a pas suffi. Maintenant, il est obligé de donner la priorité au pouvoir d’achat. Pour la croissance et la maîtrise des déficits, on verra plus tard. Le "et en même temps" est devenu un "en deux temps". Ses partisans disent que c’est une accélération. Disons que c’est une façon d’aller plus vite en ayant un pied sur le frein. Au prochain virage, gare à la sortie de route.