"Gilets jaunes" : "Emmanuel Macron a eu peur d’un embrasement et c’est pour ça qu’il a lâché prise sur la taxe carbone"

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Chaque dimanche, Hervé Gattegno, directeur de la rédaction du "Journal du dimanche", livre son édito sur Europe 1.

Bonjour Hervé Gattegno. Après les nouvelles manifestations d’hier, qui ont encore été assorties de nombreuses violences, on s’attend à de nouvelles annonces d’Emmanuel Macron cette semaine. Est-ce que ça va suffire pour sortir de la crise des "gilets jaunes" ?

Tout va évidemment dépendre du niveau, de l’ampleur, de la force des mesures qu’Emmanuel Macron va annoncer. Il devrait le faire en parlant à la télévision, a priori demain ou après-demain. Et sans doute pour ajouter aux annulations de hausses de taxes qui ont déjà été annoncées, des mesures pour augmenter très vite le pouvoir d’achat ; par exemple des primes, des aides ciblées, des revalorisations de minimas sociaux (par exemple le minimum vieillesse), voire des baisses d’impôts ou de cotisations. Il faut comprendre que cette semaine, Emmanuel Macron a vraiment eu peur d’un embrasement et c’est pour ça qu’il a lâché prise sur la taxe carbone.

Hier, la police a réussi tant bien que mal à empêcher la catastrophe, mais la pression est toujours là. Donc on a un président sonné, qui a failli trébucher ; il va devoir donner des réponses sonnantes et trébuchantes.

Est-ce que ça signifie, d’après vous, que l’on est à la veille d’un "virage social" dans le quinquennat d’Emmanuel Macron ?

Il a plusieurs options sur la table. La question est de savoir, en gros, s’il va privilégier une augmentation des mesures sociales ou une baisse importante des impôts. Donc il s’agit de déplacer le curseur vers la gauche ou vers la droite – ce qui fera toujours des mécontents. Mais ce qui est sûr, c’est que dans tous les cas, Emmanuel Macron ne va du tout présenter cela comme un virage. Il va expliquer que c’est la continuité de sa politique. Comme François Mitterrand avait fait le "tournant de la rigueur" en 1983, qui rompait complètement avec la politique ultra-sociale des débuts de son mandat, mais qu’il n’a jamais voulu assumer comme un changement de cap.

Ou comme Nicolas Sarkozy, qui avait décrété la "pause dans les réformes", ou encore François Hollande qui avait sorti le "pacte de compétitivité" comme un lapin de son chapeau ; c’étaient des réorientations qui ne disaient pas leur nom. Le plus probable, c’est qu’Emmanuel Macron va utiliser la même recette.

Maintenant qu’il a cédé aux "gilets jaunes" alors qu’il avait juré le contraire, est-ce qu’il ne court pas le risque de devoir céder à beaucoup d’autres revendications ?

D’abord, il faut qu’il arrive à apaiser la grogne des "gilets jaunes" – le prix va être élevé. Ensuite, il va lancer sa grande concertation nationale, en espérant que ces négociations décentralisées vont déboucher sur des solutions concrètes et surtout adaptées à chaque région, peut-être même à chaque territoire en difficulté – c’est un pari. Et puis ce que révèle le plus cruellement le mouvement des "gilets jaunes", c’est qu’au-delà des revendications sociales et fiscales, c’est la démocratie qui est en crise. Qu’un président élu il y a 18 mois, et qui a une majorité absolue au Parlement, doive modifier sa politique sous les violences et les injures, quoi qu’on pense de cette politique, c’est un précédent qui n’est pas rassurant.

Sans compter qu’on a entendu dans ces manifestations des slogans de haine, des appels au meurtre, au soulèvement, parfois même relayés par des politiques. Ça veut dire que ce mouvement peut provoquer des avancées sociales, mais qu’il peut aussi nous menacer de reculs démocratiques. C’est une alerte. La fronde des "gilets jaunes" est partie du prix de l’essence. Elle ne doit pas nous faire perdre de vue le prix de l’essentiel.