Le confinement pour lutter contre le Coronavirus : "rien de mieux n’a été trouvé"

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Chaque dimanche soir, François Clauss conclut les deux heures du Grand journal de Wendy Bouchard avec une mise en perspective toute personnelle de l'actu.

C’était à l’approche de l’an 2000 sur Europe 1, en ces temps où resurgissaient dans l’inconscient collectif les grandes angoisses millénaristes.

François Clauss avait eu la chance d’interviewer longuement le grand historien du moyen âge Georges Duby, qui dressait alors un parallèle saisissant entre nos peurs de l’an 1000 et de l’an 2000. Peur des invasions, (quand les Visigoths devenaient les roms de Roumanie), peur des guerres (celles qui faisait rage dans les Balkans, mais qui ne dureraient pas 100 ans), peur de la maladie ( quand le Sida des années 80 planait comme une peste noire des temps modernes).

C’était le temps ou Jean Marie Le Pen sur le plateau de l’heure de vérité, qualifiait (ceux qu’il appelait alors "les sidaïques"), de "lépreux", exigeant qu’on les isole et les enferme. 70 ans plus tard, voilà Marine Le Pen jeudi à Matignon, qui brise l’union nationale autour du Premier ministre pour exiger la construction de nouveaux murs et de nouvelles frontières, sensés éradiquer le virus qui déstabilise l’ordre social du mondialisme triomphant.

Peurs de l’an 1000, peurs de l’an 2000, François Clauss a souvent repensé aux propos de Georges Duby ces derniers jours.

Quand il évoque l’apparition en l’an 997 de ce que l’on appelait alors le mal des ardents, un parasite (on le découvrira plus tard dans l’ergot de seigle) qui provoqua des dizaines de milliers de morts inexpliquées. Georges Duby raconte la panique d’alors. "Face à un mal inconnu, la terreur est immense, le seul recours c’est le surnaturel". C’était le temps où l’on ressortait les reliques des Saints dans les champs. Un millénaire plus tard, le directeur de l’OMS dit- il autre chose quand déclare solennellement : "notre principal ennemi, ce n’est pas le virus c’est la peur". Les autorités françaises ne combattent-elles pas la même chose en convoquant en urgence à Bercy les responsables des réseaux sociaux pour contrecarrer les fausses annonces et les pseudo remèdes miracles, aussi contagieux qu’un virus.

En étudiant attentivement le processus de l’intrusion de la peste noire en Europe au milieu du 14e siècle, Georges Duby nous raconte comment ce fut un parasite porté par les animaux (on ne parlait ni de chauve-souris ni de pangolin, mais de puce et de rats) qui contamina les populations européennes. Que ce parasite provînt d’Asie (on ne parlait pas de Wuhan), qu’il fut véhiculé par des bateaux italiens (génois, on ne parlait pas de Lombards), qui commerçaient via la route de la soie.

Tout aussi troublant, ce que Georges Duby nous raconte des vaines parades que l’homme tenta d’ériger, la peur de l’autre (ceux qui aujourd’hui quittent un wagon de métro face à un voyageur asiatique), la nécessaire figure d’un bouc émissaire (quand Donald Trump en leader de l’empire dominant des années 2000 n’hésite pas à accuser ses adversaires politiques de diffuser le virus, le moyen âge n’est pas si loin).

C’était le temps aussi où les portes commençaient aussi à se refermer. Celles de la ville d’Avignon, capitale papale et centre névralgique de l’époque, pour se protéger de l’épidémie qui faisait rage plus au sud, sur le port de Marseille. C’était le temps où les riches florentins abandonnaient leurs fêtes fastueuses pour s’enfermer dans leur palais. Pas question d’assister ce week-end au tant attendu derby Juventus-Inter.

"On se défendra de l’épidémie par l’enfermement jusqu’au début du 19e siècle", nous dit Georges Duby. Le confinement de la région de Hu bai en Chine et de toutes les grandes villes de Lombardie, du département de l’Oise ce week-end démontre que, deux siècles, rien de mieux n’a été trouvé.

Georges Duby nous raconte également comment le monde culturel fut alors bouleversé par l’arrivée de ces épidémies, comment la figure de la mort, invisible jusque-là, envahit soudain le champ de la littérature et de la peinture. Comment ne pas voir dans les séries zombies, de "Walking Dead", ou "Black Summer", qui font le bonheur et les profits de Netflix, des figures contemporaines des danses macabres moyenâgeuses.

Lorsque l’homme parvint enfin à vaincre la peste noire, en produisant ses propres anticorps, le monde entra dans une phase de formidable croissance. Entre temps l’Europe perdit un tiers de sa population. Ceux qui survécurent furent mathématiquement très prospères. En étudiant les actes notariés, Georges Duby vit soudain les actes de mariage se substituer aux testaments en l’an 1400.

Bien sûr ce cynique retournement de l’histoire n’est pas celui que l’on doit attendre aujourd’hui.

Et pourtant, comment ne pas voir dans ce virus une forme de rappel, celui d’abord, fusse à l’heure de la conquête de l’espace et de l’intelligence artificielle, de notre insoutenable fragilité, de millénaire en millénaire celui, aussi peut-être du besoin dans ce monde à la croissance et au mondialisme effréné, du besoin de prospérer ensemble autrement.