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Guillaume II (1859-1941), dernier empereur allemand et roi de Prusse, était un homme complexé. Sa naissance difficile lui laisse un handicap irréversible: son bras gauche, paralysé, est plus court. À cause de cette infirmité, son enfance est entachée par les souffrances, les opérations et les humiliations venues de sa propre famille qui l’appelle “l’estropié”.

Le complexe du kaiser Guillaume II est une clé de compréhension majeure du personnage. Sans cette douleur d’enfance et ce complexe qu’il a porté toute sa vie, il eut sans doute été différent.

Guillaume II est le petit-fils de la reine Victoria par sa mère. Celle-ci était la fille aînée de Victoria, mariée à Frédéric III, roi de Prusse et empereur d’Allemagne. La naissance de Guillaume II fut extrêmement difficile : la mère, alors âgée d’à peine 18 ans et l’enfant ont failli mourir tous les deux. Les efforts médicaux se sont portés sur la mère et le nourrisson a été un peu négligé.

On s’aperçoit, lors de la naissance, qu’il ne respire plus et que son bras gauche est paralysé. Il souffre de ce qu’on appelle aujourd’hui une paralysie obstétricale du plexus brachial. C’est une complication de l’accouchement, qui survient généralement lorsque le nourrisson est sorti par l’épaule.

Une enfance d'opérations et de souffrances

Après la naissance, le bras reste paralysé et on s’aperçoit également qu’il grandit moins vite que l’autre. De plus, en grandissant, il se met à souffrir de torticolis chronique ; on doit l’opérer à plusieurs reprises et lui administrer des chocs électriques et mécaniques. On essaye également de lui allonger le bras plus petit.

Toutes ces techniques sont très douloureuses pour le jeune Guillaume, et son enfance est pavée d’opérations et de souffrance.

Dans le même temps, Guillaume se sent délaissé par ses parents, en particulier par sa mère qui l’appelle « l’estropié » en privé. Elle se sent humiliée que son fils aîné, qui est l’héritier du trône, soit handicapé. « S’il n’avait pas ce bras, j’en serais si fière », déclare souvent sa mère autour d’elle.

Humiliation supplémentaire : avec son bras paralysé, Guillaume ne parvient pas à monter à cheval Dans un régime militariste où il est appelé à diriger, il doit recevoir de l’aide… Il faut toutefois lui reconnaître que malgré son handicap, il réussit à devenir un cavalier honorable.

Un homme hautain et arrogant

Ce handicap n’est pas la seule façon dont Guillaume II est entré dans l’Histoire : la défaite de la Première guerre mondiale et l’effondrement de l’empire allemand ont donné aux historiens l’image d’un homme hautain, désireux d’imposer sa volonté, arrogant. Les historiens d’après-guerre le décrivent comme un va-t-en-guerre prêt à en découdre et le responsable de la guerre de 1914.

Cette vision des choses est tempérée par des biographies plus récentes, notamment celle de Henri Bogdan chez Tallandier. Voilà ce qu’écrit Bogdan : « La raideur de Guillaume II était celle d’un homme obligé de s’affirmer pour cacher sa fragilité, sa timidité », et plus loin, « Le handicap du jeune prince a pesé sur son caractère en lui donnant la volonté de dominer son mal et de le surpasser ».

Mais si on regarde les images d’archives, on constate que Guillaume II est constamment en uniforme et comment il essaie de se débrouiller pour que son handicap soit le moins visible possible, notamment en collant son bras contre son buste. Bogdan répond qu’il n’est pas le seul roi à apparaître constamment en uniforme : ses cousins George V et le tsar Nicolas II en font autant.

C’est exact, mais au contraire de ses cousins, Guillaume II possédait pas moins de 200 tenues militaires et changeait d’uniforme plusieurs fois par jour. Derrière son bureau, en lieu et place d’un fauteuil se trouvait une selle, pour se sentir constamment à cheval, en situation de partir au combat.

Guillaume II et la première guerre mondiale

Au-delà de ce handicap, Guillaume II a évidemment dû faire face à la situation européenne et à la mort de sa grand-mère, la reine Victoria. A partir de ce moment, les relations entre les différents cousins d’Europe se sont nettement refroidies, notamment parce que Guillaume II est jaloux de l’empire colonial que l’Angleterre est parvenue à constituer.

Sur le plan du tempérament, d’après ses contemporains, il avait un avis sur tout, voulait avoir le dernier mot, était très intransigeant et manquait de tact. L’un de ses chanceliers, Von Bülow, racontait qu’il devait passer son temps à réparer les bourdes diplomatiques du Kaiser.

A la fin de la guerre, il est considéré comme le fauteur de guerre, un monstre avide de sang. Lloyd George, le premier ministre britannique, n’hésite pas à s’exclamer : « Pendons le Kaiser ! », qui n’est jamais que le cousin germain de son propre roi.

Guillaume II a abdiqué après la guerre. Sans l’intervention du roi des Belges, Albert Ier, de la reine des Pays-Bas, Wilhelmine, et surtout de son cousin germain, George V, le roi d’Angleterre, Guillaume II aurait été livré aux Alliés pour être jugé.

Une mort en exil

Au lieu de ça, il mourut en exil en Hollande, très marqué par la mort de son sixième fils (sur ses sept enfants), Joachim, qui avait plongé dans une profonde dépression, ne supportant pas d’être devenu un simple particulier.

Quant à Guillaume II, on s’accorde aujourd’hui à dire que, s’il n’a pas déclenché la guerre, il n’a hélas rien fait pour l’arrêter. Son complexe, cette maladie d’enfance, est une clé majeure pour comprendre son tempérament. Il était dissimulateur, oui, mais jusqu’à quel point ?

Car Guillaume II avait d’autres secrets. On repense notamment à l’affaire Harden-Eulenburg, qui impliquait son ami Philippe. Cette affaire d’homosexualité dans l’entourage du Kaiser fut un scandale immense de 1907 à 1909. Guillaume II traînait-il d’autres secrets ? Pour le moment, impossible de le dire.