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À l’origine, "B.O.F." est l'acronyme de "Beurre, Oeufs, Fromages" et désigne les grossistes et crémiers qui vendent ce type de produits. Dans les années 1940, alors que les Français vivent des heures sombres sous l'Occupation et subissent le rationnement des produits de première nécessité, l’expression prend une autre tournure. Le “BOF” qualifie désormais toute personne qui s’enrichit grâce au marché noir… Mais comment les contrebandiers s'organisaient-ils ?

Sous l’occupation, les Français ont eu faim, particulièrement les populations urbaines. A Paris et dans toutes les grandes villes, tout était rationné et le rationnement ne fournissait pas suffisamment de calories au corps humain : à peine 1150 calories, alors qu’une femme a besoin d’un minimum de 1800 calories, et au moins 2000 calories pour un homme.

Dans un tel contexte, les épiciers deviennent rois. L’expression « marché noir » est apparue dans le Larousse en 1942, sous la définition suivante : « Marché clandestin où les biens sont vendus à un prix supérieur à la taxe ».

De petits trafics au quotidien

A l’époque, tout le monde fait du marché noir, car on manque de tout. Les vivres, comme la plupart des produits, arrivent de la campagne et il n’y a plus d’automobiles sur les routes en raison d’une pénurie d’essence. On se met donc à surveiller les gares mais il est impossible de fouiller tout le monde.

Parmi les gens qui se lancent dans le marché noir, on trouve souvent du menu fretin, ceux qui font passer des quantités raisonnables de denrées. Par exemple, on trouve un jour sous le charbon d’un train en partance pour la Belgique, 53kg de beurre et sept litres d’alcool. Mais de plus gros passages sont parfois décelés. Dans un train entre Clermont et Nîmes, 600 personnes voyageaient en transportant chacune cinq kilos de lentilles, trois tonnes de lentilles au total.

On trouve souvent des groupes de fraudeurs : une tonne de blé transportée par lots de 50kg, une bande de cyclistes qui passent en Belgique avec 4000kg de blé, cachés dans les fontes des vélos. A Clichy, d’astucieux trafiquants cachent 38kg de sucre et 40 pains d’épices dans un piano à queue. On met également la main sur un lot de pâtes alimentaires, de viande et de charcuterie dans le caveau vide d’un cimetière. On contrôle une dame et son chien dans un train, le chien semble un peu amorphe et pour cause : c'est une peluche qui contient deux kilos de beurre et une bouteille de cognac.

Les gens se baladent souvent avec des boîtes à chaussures trouées et des paniers pour y mettre des lapins ou des poules. Les conversations tournent autour de ce qu’on a mangé, de ce qu’on va manger, de ce qu’on mangeait avant la guerre. Les astuces pour remplacer les denrées manquantes se passent de bouche à oreille : chicorée, topinambour…

Le prix de l'huile, plus élevé qu'un salaire

Tous ces exemples concernent les petits trafics du quotidien mais il y a aussi des trafiquants professionnels. Et ces pros connaissent parfaitement la France agricole, ils ont leurs producteurs et leurs revendeurs. Dans « La vie des Français sous l’occupation », l’écrivain et journaliste Henri Amouroux décrit le trafic : « Ils vont acheter des pommes de terre à trois francs le kilo dans la Vienne et les revendent 12 à 15 Francs le kilo à Paris. Ils vont chercher un jambon dans l’Aube, qu’ils paient 100 ou 200 Francs et le revendent 1000 Francs ».

Les œufs, qui entrent au deuxième rang pour la fréquence des contraventions, sont payés de 20 à 35 Francs la douzaine et revendus 180 Francs aux soldats allemands. Les prix flambent mais les salaires ne progressent pas pendant cette période. La part de l’alimentation devient donc de plus en plus importante dans le budget, elle atteint quasiment 71%. L’huile d’olive coûte 1000 à 1500 Francs la bouteille quand le salaire moyen d’un ouvrier est de 1200 Francs.

Toute une population de commerçants et de paysans, assistée d’une foule d’intermédiaires, s’enrichit via le marché noir. Pendant l’occupation, on n’enregistre presque aucune liquidation de ces commerces malgré les rationnements massifs.

Un retard de croissance chez les enfants

Les vols sont évidemment beaucoup plus nombreux avec le rationnement. On vole les fruits, les patates, le blé mais aussi les colis : en 1943, on enregistre 7500 vols de colis dans les gares. En 1944, près de 8000 condamnations à des peines de prison ont été recensées pour des délits en rapport avec le marché noir.

Le rationnement, même s’il a fait baisser le taux d’alcoolisme dans la population, a entraîné des retards de croissance considérables chez les enfants et adolescents : 7 centimètres pour les garçons et 11 centimètres pour les filles.

A Paris, dans le dôme des Invalides, on retrouve un souvenir de la période de rationnement : un aviateur anglais caché là par la famille Morin y grimpa pour y graver « Mammy Rabbit », surnom de Denise Morin qui élevait des lapins pour nourrir ses pensionnaires. C’est encore sur la pelouse des Invalides que l’on trouve l’une des seules colonies de lapins de garenne de la capitale.