Chaque jour, David Abiker scrute la presse papier et le web et décrypte l'actualité.
Ce matin dans la presse, "ils sont venus ils sont tous là", les régionaux et les nationaux célèbrent Charles Aznavour. "For Me Formidable" fredonne le Figaro . Pour Ouest France, "le monde pleure" . "Immense" pour la Nouvelle République , "Adieu Monsieur", s’incline Le Télégramme . Et même L’Équipe qui s’adresse à l’Olympique Lyonnais et se fend d’un "Emmenez-nous" a injecté une dose d’Aznavour dans ses colonnes . Mais c’est peut-être Libération qui a le mieux saisi la surprise, la tendresse et l’appétit de vivre du grand Charles avec ce portrait en noir et blanc où derrière le vieil homme, l’enfant plein de naïveté semble encore s’émerveiller du cadeau qu’est sa jeunesse. "Hier encore", titre Libération.
Un document publié dans la Croix, c’est un hasard mais quel hasard.
Le hasard d’une exposition au musée de l’Armée à Paris. La Croix consacre un dossier aux guerres qui ont secoué l’est de l’Europe entre 1918 et 1923 et publie le facsimilé du télégramme qui, le 24 février 1920, alerte la conférence de paix sur la relance du génocide arménien commencé en 1915. "Population arménienne court danger stop déjà 20.000 massacres dans région Marash évacuée par les troupes stop". Dans ce télégramme où souffle le vent de la grande histoire, se glisse la petite histoire de Charles Aznavour et de cette famille d’artistes qui en 1915 a émigré en France. "Je suis né au bout du voyage de l’enfer, là où commence le paradis de ce qu’on appelle l’immigration" disait Charles Aznavour cité ce matin par Marianne.fr qui voit dans l’itinéraire de cet enfant d’arméniens devenu français, un symbole universel. Car il y a l’artiste célébré partout ce matin dans la presse mais également la figure internationale à qui les journaux étrangers rendent ce matin hommage. Pour Courrier international, "le monde entier pleure le Crooner français" . Les États-Unis étaient devenus sa seconde maison rappelle le New York Times , Bob Dylan le considérait comme l’un de plus grands sur scène souligne Variety . Au Québec, l’agence La presse canadienne évoque cette confidence d’Aznavour qui avait avec les québécois le Français en partage "L’Arménie est mon âme et le Québec plutôt mon cœur". En Espagne, El Pais aime se souvenir qu’Aznavour était vénéré dans des endroits inattendus comme Cuba . Le quotidien Espagnol insiste aussi sur ses débuts difficiles. Il n’avait pas une bonne voix. Il n’était pas beau. Pas même grand. Il n’avait rien pour triompher sur scène comme le lui disaient les critiques au début de sa carrière.
Des critiques très féroces qui sont rappelées ce matin dans les journaux.
Ce qui fait dire à l’académicien Marc Lambron dans le Figaro qu’Aznavour c’est l’histoire "d'une disgrâce surmontée" . Et on a du mal à imaginer qu’un artiste puisse aujourd’hui être pourri par la presse et le microcosme comme le fut Aznavour à ses débuts. "Trop petit, trop moche", rappelle le Parisien, "il ne faut pas laisser chanter les infirmes", il en a entendu Charles Aznavour. "L’enroué vers l’or", disait les mauvaises langues tandis que la presse anglaise l’avait un temps surnommé "Az No Voice", n’a pas de voix.
Une presse pas tendre et pourtant Aznavour lui aimait la presse.
Il la lisait goulument chaque jour pour tirer d’un fait divers ou d’un fait de société le texte d’une chanson. Qui sait si ce matin il n’aurait pas été intéressé par la voiture électrique et le discours choc du patron de Renault Carlos Ghosn à la une des Échos . Ça lui aurait peut être inspiré une chanson sur l’environnement (comme la Terre meurt composée en 2007) à moins que la démission de Gérard Collomb remise et refusée par Macron hier et contée dans le Figaro ne lui ait inspiré une chanson sur un de ces couples qui n’arrivent pas à se séparer. Aznavour aimait lire parce qu’il se considérait d’abord comme un auteur. Libération rappelle cette citation de Cocteau "Avant Aznavour le désespoir était impopulaire, il l’a rendu sympathique". De Victor Hugo à Céline en passant par le rap et le slam, Aznavour confiait au Figaro qu’il a toujours beaucoup lu , il disait aussi "c’est parce que je suis vicieux que j’écris, car l’écriture va au-delà du plaisir". Alors il faut laisser à l’auteur le mot de la fin et lui poser la seule question qui vaille : quel est le secret d’une bonne chanson, Charles, c’est quoi au juste une bonne chanson ?
"Sa jeunesse", une chanson qu’Aznavour commençait par dire sur scène comme un poème pour ensuite la chanter accompagner du piano. Pour expliquer au public ce qu’est une bonne chanson.