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Chaque jour, Marion Lagardère scrute la presse papier et décrypte l'actualité.

En Une d’une bonne partie des journaux ce matin, la "journée sanglante dans la bande de Gaza".

C’est l’expression qu’on retrouve dans Ouest-France, les Dernières Nouvelles d’Alsace, et la Nouvelle République.
Le Dauphiné Libéré titre sur "un bain de sang", tout comme le Parisien et Les Échos.
"Journée rouge sang" pour Libération Champagne.
"Journée de colère et de sang", pour le Figaro.
On parle de massacre, on décompte les morts, 55 dont un enfant de 14 ans, et les blessés, 2.000.
Et puis, il y a ces tournures bizarres pour nommer les choses. Comme Libération qui titre "une ambassade et un massacre".
On dirait que c’est l’ambassade qui a tué.
Même chose dans le New York Times : "des vagues de gazaouis contre des balles". Pourtant les balles ne partent pas toutes seules.
Sur la photo, comme partout ce matin, on voit bien les Palestiniens, hommes, femmes, enfants, regards tournés vers un immense nuage noir. Mais on ne voit pas les balles, et encore moins ceux qui les tirent.

Il faut donc aller au-delà des titres, des Unes et des photos pour le lire clairement.

Édito de Guillaume Goubert dans La Croix : "plusieurs dizaines de palestiniens ont été tués, écrit-il, par des soldats israéliens. Tragique symbole d’une impasse et situation explosive. D’un côté, le désespoir des palestiniens, qui est tel que de nombreuses personnes sont prêtes à risquer leur vie ne serait-ce que pour pouvoir manifester près de la frontière. De l’autre, l’État, qui a les moyens de faire face à la situation, mais dont le maintien de l’ordre dénature peu à peu le fonctionnement démocratique dont ce pays est légitimement fier".
55 morts et 2.000 blessés en démocratie, il y a de quoi se poser des questions.

"Oui, mais si Israël réprime avec autant de violence cette marche du retour, écrit Jean-Dominique Merchet dans l’Opinion, c’est aussi parce qu’il bénéficie de l’indulgence des grandes capitales occidentales et arabes. (…) La réaction française par exemple en témoigne, quand elle demande aux autorités israéliennes de faire "preuve de retenue dans l’usage de la force". On a connu la diplomatie française plus sonore sur les droits de l’Homme", dit-il.

Et puis Le Monde a interrogé d’anciens soldats Israéliens, ils racontent en quoi consistent les missions à la frontière de Gaza.

On vous parle de snipers, de soldats nichés sur des collines, on ne les voit que rarement sur les photos, eh bien le journaliste Piotr Smolar en a rencontré deux.
Ils s’autorisent à parler parce qu’ils ont décidé de quitter l’armée après plusieurs mois passés à faire le guet sur cette frontière.

Shaï Iluk, 27 ans, et futur avocat.
Il raconte son 15 mai 2011, jour de commémoration de la Nakba :
"on nous a dit : "des milliers de personnes vont venir près de la clôture, il faut les empêcher d’entrer en Israël". C’était ça le cadre. On ne nous a jamais dit de tirer sur toute personne franchissant la frontière, mais mon sentiment c’était qu’un franchissement n’était même pas envisageable. Et ce jour-là, il y a donc eu un mort. Mais mon pote qui a tué ce manifestant, personne n’est venu discuter avec lui ensuite. Personne n’a été interrogé, ou n’est allé en prison. Par contre, le jour où j’ai perdu le coffret de ma lunette de vision nocturne, explique Shaï, là je suis passé devant le tribunal et j’ai eu une amende de 1.200 shekels.. Voilà, pour ça, il y a des mesures disciplinaires, dit-il, pour le reste, on estime que les erreurs arrivent".

Mordechaï, 26 ans, a lui aussi été posté plusieurs mois le long de la frontière : "je ne sais pas quelles instructions ont reçus les soldats déployés en ce moment, explique-t-il, mais ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas de bonne façon d’agir : les soldats comme individus sont coincés et le nombre de palestiniens blessés par balles témoigne de la panique de notre système".

"C’est une situation très complexe, ajoute Shaï, on nous demande de protéger notre pays sous peine de passer pour des traitres, mais on place notre génération dans une situation insoluble".
"La grande leçon pour moi, c’est qu’il n’y a aucune façon de bien mener l’occupation : sans l’armée, les colons sont en danger, conclu-t-il, mais tant qu’il y a des colonies et l’armée, on rend la vie des Palestiniens misérable".

Deux témoignages rares à lire sur lemonde.fr..

Pendant ce temps-là, en France, on a bien d’autres préoccupations.

Oui, alors les grèves d’abord. Celle d’Air France en Une de La Croix et du Figaro.
Mais aussi celle de la SNCF : en première page des Échos qui s’inquiètent "des actes de violences", en Une également de l’Humanité qui salue, à l’inverse, "la démocratie cheminote symbolisée par l’organisation d’un vote interne", et puis, dans l’édito de l’Opinion, Nicolas Beytout reprend l’une de ses maximes favorites : "il faut savoir arrêter une grève".

Autre préoccupation incontournable, on vous en parle depuis l’aube sur Europe 1 : les impôts.

"L’heure de la déclaration de revenu a sonné", titre le Parisien qui publie un supplément de 8 pages pour "y voir clair".
Eh oui, parce que ce n’est pas forcément très clair. Et cela préoccupe semble-t-il le gouvernement…

"L’exécutif a une hantise, écrit Cécile Crouzel dans le Figaro Éco, c’est que les Français ne comprennent rien à sa politique fiscale. Hausse de la CSG, suppressions de cotisations salariale et surtout passage au prélèvement à la source le 1er janvier. Avec un risque majeur, note le journal : que les salariés, en ne regardant que la dernière ligne de leur bulletin de salaires, pensent gagner moins". Pour lutter contre un éventuel effet psychologiques, l’exécutif a donc pris un arrêté lui aussi très psychologique : il ordonne tout simplement que la ligne "net à payer avec impôts" soit imprimé plus gros, précisément "au moins une fois et demi plus gros que les autres les lignes".

C’est malin, oui mais seulement jusqu’à un certain point puisqu’évidemment concernant la somme qui sera affichée sur vos relevés de compte, aucune astuce psychologique n’est prévue.

Enfin, cette affirmation, hautement préoccupante dans Libération : "c’est le camembert de Normandie AOP qu’on assassine".

Tribune rédigée par la présidente de l’association "fromages des terroirs", Véronique Richez-Lerouge, et signée par de très grands chefs : Anne-Sophie Pic, Olivier Roellinger, Sébastien et Michel Bras ou encore Michel TroisGros.

"Honte, scandale, imposture, les mots ne sont pas assez forts pour dénoncer la forfaiture, lance le texte, voilà que le camembert moulé à la louche pourrait être fabriqué avec du lait pasteurisé, c’est en tout cas ce que prévoit un accord passé entre tous les fabricants, industriels compris, sous l’égide de l’Inao, l’institut national de l’origine et de la qualité, accord qui ouvre la voie à la pasteurisation dans un cahier des charges de l’AOP Normandie.

Qu’est-ce que ça signifie ? Ça veut dire qu’on pourra produire sous un même label à la fois, "un vrai camembert au lait cru moulé à la louche, mais aussi une sorte de plâtre pasteurisé, pas cher, et pouvant se réclamer de l’appellation d’origine protégée Normandie.
Autrement dit, le véritable camembert de Normandie sera un produit de luxe, réservé aux initiés, tandis que la masse des consommateurs devra se contenter d’un ersatz industriel".

"Monsieur le président, conclu la tribune, nous réclamons un camembert au lait cru pour tous, aidons les producteurs, visons la qualité. Liberté, égalité, camembert !".

Voilà, c’est très sérieux, c’est à lire dans Libération.
Parce qu’en la France, pays de "la déclaration universelle des droits de l’Homme", on "assassine des camemberts". Pour la défense des signataires on dira qu’il n’y a pas de petit combat et qu’on n’est pas obligé de choisir.