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Chaque jour, Marion Lagardère scrute la presse papier et décrypte l'actualité.

Dans la presse ce matin, beaucoup de Unes consacrées à Serge Dassault.

À commencer par celle du Figaro, évidemment.
"Serge Dassault : la France au cœur", titre le journal dont le logo a perdu sa couleur bleue historique pour un habit noir de circonstance.
Portrait d’un "homme libre" en première page, "d’un homme de conviction" en page 2, "d’un chef de famille attentif", en page 3, "d’un héritier bâtisseur" en page 4.
"Sa seule boussole, écrivent Marc Feuillée et Alexis Brézet, c’était l’intérêt du pays et l’idée qu’il s’en faisait".

On l’a compris, ce matin le temps est à l’hommage. Pas d’irrévérence, dans les pages du Figaro, pas trace non plus de ces tribulations judiciaires pour lesquelles Serge Dassault a fait la Une ces dernières années.
Ce que les autres journaux, en revanche, ne se privent pas de rappeler.
Le Parisien, Sud-Ouest, Les Échos et surtout Libération avec ce titre en Une :
"Tiré d’affaires", "il laisse derrière lui un empire industriel prospère et une série de casseroles", écrit le journal.
Et on sent sous la plume de Laurent Joffrin une gourmandise mesquine à rappeler les gentillesses dont Serge Dassault a longtemps été affublé :
"le benêt, le fils à papa", "mais aussi, il faut bien le dire, écrit Joffrin, le plus avenant et le moins snob du gotha capitaliste".
Libération qui insiste sur son "inéligibilité, sa condamnation pour blanchiment, sa mise en examen pour achat de vote", "ce système clientéliste installé dans la ville de Corbeil-Essonnes pour s’assurer élection et réélection, plus de trois millions d’euros d’enveloppes, comme il l’a lui-même reconnu".

Finalement, "que retiendra-t-on de Serge Dassault, demande l’Humanité, l’industriel de l’armement ? Le patron de presse ? Sa grande fortune ? ".
Sans surprise, pour le journal du PC, le choix est fait : ce qui est à retenir ce sont ses "relations tourmentées avec les communistes".

Le magazine Capital, lui, retient "une fortune de 20 milliards d’euros".
Le Huffington Post, "sa bonne fortune ».
La Nouvelle République « le patron de presse et d’industrie".
Et L’Opinion, "une obstination française". Nicolas Beytout salue "un industriel patient, exigeant, courageux, un homme que sa passion politique dévorait, jusqu’à l’excès, et qui ne savait que travailler, conclu-t-il, jusqu’à sa mort, dans son bureau".

Voilà, des portraits très divers, pour un homme aux multiples facettes.

Serge Dassault, qui se partage les Unes avec l’autre titre du jour : la crise politique en Italie.

Incontournable, en Une  de La Croix, Les Échos, Le Monde, l’Opinion, Médiapart,Ouest-France, ou encore le Dauphiné.

Où l’on questionne la décision du président italien, Sergio Matarella, lui qui a refusé de nommer un eurosceptique au ministère de l’Economie et, de fait, fait voler en éclat la composition du gouvernement.
Est-ce bien démocratique ? Est-ce bien respectueux du vote des italiens ? Ne sort il pas de son rôle ?
Pas du tout, répond Nicolas Lupo, professeur de droit constitutionnel à l’université de Rome dans Les Échos : "au contraire, il a scrupuleusement respecté la Constitution".

Et effectivement, pour beaucoup de journaux ce matin, ce n’est pas à lui que revient la paternité de la crise, mais à Matteo Salvini, chef du parti d’extrême-droite, "un homme passé maitre dans l’art de la provocation", écrit Ouest-France, "un spécialiste de la politique du coup de menton mettant en avant une supposée volonté populaire", ajoute Pascal Coquis dans les DNA.

Et puis, il y a cet autre son de cloche : le réquisitoire violent de l’écrivain Gabriel Matzneff dans Le Point, contre "un président italien qui ne respecte pas le choix des électeurs".
"Quand on aime l’Italie, écrit-il, on ne peut que ressentir une extrême tristesse à voir cette nation traitée par le chef de l’Etat comme une vassale des puissances financières. Où est la souveraineté ? demande Matzneff, Où est le respect de la volonté du peuple ? ".

"Ainsi faudrait-il toujours donner raison au peuple, écrit Florence Chédotal dans la Montagne, comme si ce peuple était vertueux par essence, et alors même que la notion de peuple homogène n’existe pas.
Mais, si le peuple n’a pas toujours raison, il a ses raisons qu’il devient urgent de ne plus ignorer. Rien ne sert de lui faire entendre raison par la force, conclue-t-elle, sans quoi le ressentiment risque fort de redoubler dans les urnes".

Voilà, comme un petit air de déjà lu, de déjà entendu, pour une crise de confiance qui nous concerne aussi de ce côté-ci des Alpes.

On s’inquiète de voir que le voisin italien n’a pas de sauveur, et en parallèle, on se félicite d’avoir en France un nouveau héros.

En l’occurrence, Mamoudou Gassama, 22 ans, sans papier Malien qui a sauvé un enfant de quatre ans suspendu au quatrième étage d’un immeuble à Paris. Reçu en grande pompe à L’Élysée hier, naturalisé français par Emmanuel Macron.
"Il est incontestablement un héros, le genre de héros qui régénère la société, analyse dans Libération le sociologue Markos Zafiro Poulos,  il démontre par son acte que les réfugiés sont capables de bravoure, pas seulement pour sauver leur peau mais aussi celle des autres".

"La République a besoin de ces héros", dit encore Maurice Bontinck dans La Charente Libre.

"L’acte de Mamoudou est magnifique, note Jean-Marc Chevauché dans le Courrier Picard, mais sa célébration pose question". Et de rappeler cette phrase récente de Gérard Collomb ministre de l’Intérieur affirmant que "certaines régions se déconstruisent parce qu’elles sont submergées par des flux de demandeurs d’asile". De rappeler aussi l’absence de condamnation des Identitaires organisant des raids anti-migrants dans les Alpes.

"Le gouvernement Philippe a durci la politique migratoire, résume Yann Marec dans Midi Libre, alors forcément, on ne peut s’empêcher de penser à de la récupération politique".  
"Récupération et mise en scène, ajoute Hervé Chabaud dans L’Union, car encenser le sauveur pour revenir plus vite ensuite au choc des postures est déplaisant".

Oui, c’est déplaisant, "hypocrite et cynique", écrit même le site de l’Obs qui cite le point de vue des associations qui viennent en aide aux migrants : "le gouvernement s’achète à bon compte une image de bienveillance".  

Enfin, puisqu’on parle de "la patrie reconnaissance", il y a cet article publié dans le Monde : l’histoire d’un homme qui se bat pour faire retirer au dictateur Franco sa légion d’Honneur.

Il s’appelle Jean Ocana, il a 78 ans, est ancien juriste et fils d’un républicain espagnol.
"Il a été naturalisé français en 1956, écrit Marie-Béatrice Baudet, et il mène le combat de sa vie : faire rayer le nom de Franco du tableau de la légion d’Honneur".

Car voilà, "Franco, général putschiste, allié d’Hitler et de Mussolini, a été récompensé deux fois à Paris, a été élevé au grade de commandeur sous la recommandation de son ami Philippe Pétain en 1930. Franco qui a fait assassiner 150.000  républicains, rappelle Le Monde, et au moins 50 000 nationalistes, lui qui avait également convaincu Hitler de faire interner ses opposants dans les camps du Reich. Parmi eux, le père de Jean Ocana, José, déporté en juin 40".

Les faits sont là. Mais "peut-on enlever le ruban rouge a une personne décédée ?". C’est toute la question, sur laquelle lui et son avocate bute puisque la chancellerie leur a fait remarquer qu’aucun article ne le précise.

"Je pense que monsieur Ocana aurait gagné en première instance s’il s’était agi de faire retirer le ruban à Hitler, confie un conseiller d’État qui veut rester anonyme, mais retirer la légion d’honneur à un ex-dictateur, malheureusement, c’est ouvrir la boite de Pandore". Et Le Monde de citer quelques noms de décorés : "Mussolini, Ceausescu, Bokassa, bongo ou encore Mobutu".

"Il suffirait pourtant d’un seul décret pris en conseil des ministres, après avis du conseil d’État", conclu Le Monde.
Voilà, reste à savoir quelles valeurs veut défendre la France, quel dictateur elle déchoit, quel héros moderne elle décore, et avec ça, quelle politique elle assume.