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Chaque matin, Nicolas Beytout analyse l'actualité politique et nous livre son opinion. Ce lundi, il revient sur la décision du Sénat concernant le secret professionnel des avocats pour le conseil en matière fiscale et de délinquance économique.

Alors qu’il était en butte avec les magistrats depuis son arrivée au ministère de la Justice, Eric Dupond-Moretti va devoir maintenant affronter la colère des avocats.

À cause d’une drôle d’affaire, pleine de rebondissements, qui en est presque à son dénouement. Une affaire en apparence technique, mais qui est en réalité très politique. C’est Eric Dupond-Moretti qui, sans le vouloir, a tout déclenché avec sa loi pompeusement intitulée "Confiance dans l’institution judiciaire". Dans la masse des articles disparates de cette loi, le Garde des Sceaux a glissé une disposition sur le secret professionnel des avocats. En tant qu’ancien confrère, il voulait renforcer ce secret.

Et il n’y avait pas de loi sur le secret professionnel des avocats jusque-là?

Si, depuis 50 ans. Mais cette loi qui date de 1971 a été méthodiquement rognée par les juges qui ont respecté le secret qui s’attache aux activités de contentieux (tout ce qui tourne autour des procès), mais de moins en moins celui qui se rattache aux activités de conseil (une partie de plus en plus importante des cabinets d’avocats). C’est cette dérive inquiétante pour les droits de la défense qu’Eric Dupond-Moretti voulait re-sanctuariser. Et sa proposition a d’abord été votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Applaudissement des avocats, des barreaux et de tout ce que les prétoires comptent de stars de la plaidoirie. Pour un peu, ils auraient entonné un tonitruant "Il est des nôtres".
C’est ensuite que ça s’est gâté ?

Exactement. Le Sénat a démoli tout ça. S’il a bien confirmé que le secret professionnel protégeait l’avocat, il a fait deux énormes brèches dans cette muraille. Le secret n’existera plus pour le conseil en matière fiscale et de délinquance économique, et il sautera également dès que l’avocat fait l’objet de manœuvres qui peuvent être liées à une infraction, une formulation très floue qui semble potentiellement très dangereuse. Car dans ces cas-là, les juges pourront saisir tous les échanges entre un avocat et son client. La confidentialité des échanges, qui est une pièce maîtresse de la justice, un élément essentiel des droits de la défense, cette confidentialité est lourdement menacée.

Quand même, la lutte contre la fraude fiscale et contre la délinquance économique, ce sont des causes nationales.

Bien sûr, mais à quel prix ? Ce qui inquiète beaucoup les avocats, c’est que cette loi va permettre aux juges de débouler dans leurs cabinets, de saisir leurs dossiers, de rentrer dans l’intimité des rapports de confiance entre un client et son conseil. Le secret des conversations entre un avocat et son client avait déjà été malmené dans l’affaire Bismuth-Sarkozy (les échanges entre l’ancien chef de l’Etat et son avocat Me Thierry Herzog avaient été écoutés et utilisés à charge contre eux). Mais cette fois, c’est à l’échelle industrielle que ça va pouvoir se faire. La fraude fiscale, le blanchiment d’argent, ce sont des délits extrêmement graves, avec parfois des ramifications internationales très complexes à démêler. La tendance aujourd’hui, c’est tolérance zéro pour cette gamme d’infractions. Ok, mais leurs auteurs ne sont pas différents des autres délinquants : tant qu’ils ne sont pas définitivement condamnés, ils sont présumés innocents, et leurs droits doivent être préservés. En tout cas, les avocats vont sûrement se faire entendre.

Et qu’est-ce qui peut se passer maintenant ?

Des manifs, des grèves, des protestations de la part de cette profession très influente (après le projet avorté de réforme de leur système de retraite, ce sera la deuxième fois dans le quinquennat). Après, tout dépendra du chef de l’Etat. Dans ce bras de fer entre les Finances et le ministère de la Justice, c’est clairement Bercy qui l’a emporté. Si ce texte va jusqu’au bout, ce sera une encoche de plus dans le bilan du quinquennat, qui avait un passif déjà lourd en matière de libertés publiques. C’est maintenant à Emmanuel Macron de choisir.