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Chaque samedi et dimanche, Nicolas Beytout, directeur du journal "L'Opinion", donne son avis sur l'actualité de la semaine.

Vous avez aimé les chiffres de créations d’emplois constatées en France au premier trimestre.

Oui, un chiffre record : en trois mois, l’emploi salarié a augmenté de 94.000 postes, et sur un an, c’est plus 220.000 postes qui ont été créés par l’économie française. C’est un résultat surprenant par son ampleur, et qui, paradoxalement, n’a pas fait beaucoup de bruit, pas de Unes tonitruantes, pas de communiqués triomphants. Mais, bien sûr, on connaît la loi du genre : les mauvaises nouvelles font plus de bruit que les bonnes ; des centaines de suppressions d’emplois à Belfort, par exemple, marquent plus les esprits que des dizaines de milliers de créations d’emplois.

Bon, mais Edouard Philippe, lui, n’a pas laissé passer l’info, dans son discours de politique générale.

C’est vrai mais, il n’y a pas beaucoup insisté ; il a signalé en passant que c’était le meilleur chiffre depuis 10 ans. Il aurait pu par exemple citer un autre chiffre, très spectaculaire : on prévoit qu’il y aura en 2019, en France, 3,5 millions de recrutements. Voilà un bon signal pour l’économie. C’est une des clefs du redressement du pays. Il aurait pu en faire l’ossature du volet économique de son discours devant les députés.

Mais il a quand même parlé du social.

Absolument, mais à vrai dire, c’est assez drôle : beaucoup de commentateurs, pour souligner qu’il y avait un important passage social, ont évoqué la réforme des retraites et celle de l’assurance-chômage. C’est vrai que ce sont deux dossiers sur lesquels on attendait avec impatience que le chef du gouvernement dévoile un peu plus le dispositif qu’il a en tête. Ce qu’il a fait, avec parcimonie, en se contentant des grandes lignes. Mais dire que l’évocation de ces dossiers sociaux était une façon de parler à la gauche de sa majorité, que c’était sa manière à lui, Edouard Philippe, de remettre de l’humain dans sa façon de faire de la politique, dire que l’on voyait bien que la crise des "gilets jaunes" était passée par là, ça me fait sourire.

Parce que ?

Mais parce que dans l’esprit de la plupart des gens, ce n’est pas ça "faire du social". Faire du social, ça a toujours été donner des avantages aux salariés (je pense aux 35 heures, par exemple). Ça a été protéger les plus faibles, ou ceux qui sont en recherche d’emploi (et c’est l’objet de l’assurance-chômage), de protéger les malades, ceux qui souffrent (l’assurance-maladie) et de garantir que celui qui a travaillé toute sa vie aura une retraite décente. Et quand un homme politique parle de justice sociale, il pense toujours à relever ces droits, ces protections. Là, c’est l’inverse : les réformes sociales qui ont été évoquées par Edouard Philippe, à part le bonus-malus pour les contrats courts et les CDD, sont non pas des réformes où on additionne des plus, mais où on soustrait.

Ce ne sont pas des réformes addition, mais des réformes ablation. Je pense à l’âge de la retraite qui va être reculé dans les faits, à la suppression des régimes spéciaux, au plafonnement des indemnités-chômage pour les plus aisés. Ce sont des réformes nécessaires pour retrouver un équilibre des comptes ; ce sont des réformes qui au bout du compte seront favorables à l’emploi. C’est comme ça qu’Edouard Philippe aurait pu en parler.