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Chaque matin, Nicolas Beytout, le directeur du journal "L'Opinion", analyse l'actualité politique et nous livre son point de vue. Ce mardi, il revient sur la tribune qu'a publiée lundi la cheffe de fil du Rassemblement national Marine Le Pen dans "L'Opinion".

Nicolas Beytout, vous revenez sur la tribune que Marine Le Pen a publiée lundi dans le journal L’Opinion. C’est un tournant important, selon vous...

"Il y avait eu, peu avant la présidentielle de 2017, un renoncement sur l’euro. Marine Le Pen avait abandonné le grand dessein du retour au franc français : trop complexe et surtout trop inquiétant pour une grande partie de son électorat potentiel qui vivait cet aspect traditionnel du programme du Front national comme un saut vertigineux dans l’inconnu. C’était, avec d’autres mesures et 'recadrages' d’ordre plutôt sociétal, le début de ce qu’on avait appelé la dédiabolisation.

Ce processus se poursuit aujourd’hui ?

Oui, ou plutôt il s’adapte. Marine Le Pen avait déjà commencé à travailler son image depuis un certain temps, quitte à donner un peu trop dans le sourire forcé comme on l’a vu dans son débat face à Gérald Darmanin. Dans cette stratégie de 'présidentialisation', l’objectif est désormais pour Marine Le Pen d’essayer de déminer une à une les bombes qui figurent encore dans la doxa issue du Front national.

Il y a trois semaines, elle a envoyé balader le sujet du retour aux frontières françaises. Elle admet aujourd’hui la libre circulation des seuls Européens en Europe. Elle évolue parallèlement sur la question de la Cour européenne des Droits de l’Homme, cette juridiction supranationale qui était honnie jusque-là parce que contraire à notre souveraineté. Et voilà qu’elle démine le sujet de la dette de la France...

Elle dit ainsi que "la dette doit être remboursée", que c’est "un aspect moral essentiel" et une "loi d’airain"

On dirait du Le Maire du Barnier ou du Woerth... Plus sérieusement, cette déclaration est vraiment un tournant, une étape dans la tentative de normalisation de son programme. Objectif, rassurer la partie la plus âgée de l’électorat français, traditionnellement attaché au respect des engagements de la France et habituellement la plus réservée sur le programme économique de Marine Le Pen. Objectif aussi : se différencier de Jean-Luc Mélenchon qui, lui, proclame au contraire que la dette ne sera jamais remboursée. Dans la course à l’électorat protestataire, c’est certainement un moyen radical de se distinguer. 

Un tel virage stratégique n'est-il pas aussi risqué politiquement ?

Si, bien sûr. Les déçus de l’ex-Front national ne vont pas se priver de crier à la trahison. Et puis, le danger pour Marine Le Pen, c’est de perdre une partie de son positionnement hors-système qui lui permet justement de récolter un vote de rejet de la classe politique au pouvoir depuis 40 ans (pour reprendre une terminologie très Front national). Elle avait jusque-là au-dessus d’elle un plafond de verre. Elle s’est aujourd’hui persuadée qu’elle peut le briser. Mais pour cela, pour rassembler large, elle doit arriver à tenir les deux bouts d’un programme, normalisé d’un côté et en rupture de l’autre. Le plafond de verre est devenu un mur de verre."