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Chômé par certains, travaillé par d'autres, le lundi de Pentecôte ressemble plus à un grand bazar qu'à une journée de solidarité pour Nicolas Beytout. Notre éditorialiste en profite pour remettre sur la table la question de l'augmentation du temps de travail, la seule solution selon lui pour relancer durablement l'économie.  

Manifestement, vous travaillez aujourd’hui. 

Oui, comme vous, et comme une partie des Français qui seront au boulot, ce lundi de Pentecôte, pour accomplir leur "journée de solidarité". Ils travailleront, mais leur salaire sera directement versé par leur employeur à l’Etat, qui à son tour répartira le montant de cette cagnotte entre allocation autonomie, prestations handicap, ou financement de maisons de retraites par le biais des départements. Cette année, la somme récoltée pourrait être de trois milliards d’euros.

Une belle somme, donc. Sauf que beaucoup de Français ne travaillent pas aujourd’hui.

Oui, et pour tout dire, ce lundi férié mais soit disant travaillé, c’est en réalité devenu n’importe quoi. L’idée de travailler tous les ans le lundi de Pentecôte est apparue après la crise sanitaire de la canicule, en 2003 : 15 à 20.000 morts, deux fois moins que depuis le début de l’épidémie de Covid-19.

A l’époque, Jean-Pierre Raffarin est le Premier ministre de Jacques Chirac, et, parce qu’il faut mobiliser de l’argent pour éviter que la catastrophe sanitaire ne se reproduise, il a l’idée d’imposer à tous les salariés et fonctionnaires une journée de travail non payée. Leur salaire sera leur contribution au 3ème et 4ème âge, à la solidarité. Belle idée. Qui a tout de suite été massacrée. 

C’est-à-dire ? Elle n’a pas été respectée ?

Il s’est produit quelque chose de typiquement français. Des professionnels du tourisme et d’autres secteurs ont protesté qu’un week-end de pont supprimé serait une perte pour eux. Les syndicats du privé et du public sont montés au créneau pour s’opposer à cette augmentation du temps de travail. Et puis peu à peu, d’innombrables exceptions ont été accordées.

Résultat, ce qui était simple est devenu inextricable, jusqu’à ce que le gouvernement ouvre les vannes, laisse les entreprises choisir n’importe quel jour, et même autorise un étalement de cette journée de solidarité sur toute l’année, au rythme de deux minutes de travail supplémentaire par jour. Un grand abandon social, très chiraquien, en vérité. 

Vous pensez que son gouvernement et les suivants auraient pu tenir ? 

Au nom de la solidarité, oui, ils auraient dû. En tout cas, c’est un précédent intéressant au moment où tout le monde y va de son idée pour mobiliser de l’argent en sortie de crise du coronavirus. Je passe sur le lobbying intensif des obsédés de l’impôt et des taxes, en particulier de l’impôt sur les riches, cette spécialité française. Ça peut rapporter de l’argent, naturellement, mais ce n’est pas comme ça qu’on reconstruira une économie qui a été littéralement figée pendant deux mois.

Pour relancer l’économie, il faut retravailler. C’est le plus sûr moyen de créer de la richesse, et donc d’en consacrer une partie aux exigences de solidarité. Tôt ou tard, sous une forme ou une autre, ce débat sur le temps de travail reviendra. Ce jour-là, il faudra bien prendre garde de ne pas refaire le coup du lundi de Pentecôte, cet improbable jour férié, devenu à la fois chômé et travaillé.