"Gilets jaunes" : "C’est dans des périodes comme celle-là qu’on voit si un pouvoir est capable de tenir une ligne"

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Chaque samedi et dimanche, Nicolas Beytout, directeur du journal "L'Opinion", donne son avis sur l'actualité de la semaine.

Vous avez aimé le changement de pied de l’Elysée sur le dossier des "gilets jaunes".

Oui, un changement de pied qui date de jeudi soir et vendredi matin. Ce sont des conseillers de l’Elysée qui s’expriment, mais ce qu’ils disent est sans ambiguïté : "la transition écologique se fera avec les citoyens. Il y aura des débats, de l’argent et une méthode". Fin de citation, qui contient, en creux, tout ce qui manquait jusqu’ici : une transition avec les citoyens ? Ils s’estiment aujourd’hui complètement ignorés et méprisés. Il y aura des débats (alors qu’aucun dialogue n’a été noué avec les manifestants), de l’argent pour compenser, j’imagine, une partie des trois milliards de prélèvements supplémentaires. Et une méthode, ce n’est pas trop tôt.

Vous voulez dire qu’il n’y avait pas de stratégie de la part du gouvernement jusqu’à présent ?

En effet. Prenez la séquence telle qu’elle s’est déroulée avant le week-end dernier. Le Premier ministre Edouard Philippe s’est exprimé le mercredi matin à la radio pour dévoiler quelques mesures destinées à calmer (en théorie) la grogne montante des Gilets jaunes. Très vite, les quelques 500 millions que représentait ce geste en direction des manifestants se sont révélés insuffisants et ultra-technocratiques. Résultat, il n’y avait plus rien à donner le dimanche soir ou au lendemain de la forte mobilisation du week-end. Et, il y a plus grave : il ne s’est rien passé ensuite. Pas de discussions, pas de négociations. Rien que la fermeté et l’espoir d’un délitement du mouvement.

Bon on va rapidement voir aujourd’hui ce qu’il en est et si la mobilisation reste forte. Mais votre pari, c’est quoi ?

Que rien n’est résolu. Tout part en fait d’un constat : cette colère des "gilets jaunes", elle n’a pas de leader (elle n’en veut pas). Et elle n’a pas de colonne vertébrale. Bien sûr, il y a les taxes sur le gazole. Mais c’est un point de départ, un déclencheur. On a tous entendu les manifestants et ceux qui les soutiennent. Leurs demandes, j’allais dire leurs implorations, partent dans tous les sens. Pas de leader, pas d’axe central aux revendications : s’il n’y a pas très vite de vraies discussions, c’est dangereux.

Des discussions et un recul du gouvernement ?

C’est la grande question. Je pense qu’Emmanuel Macron et son Premier ministre, qui ont beaucoup argumenté sur le thème "le Gaulois est réfractaire au changement ; la France est irréformable ; nous, nous tiendrons", je pense qu’ils vont habiller, qu’ils vont enrober leur stratégie et les gestes qu’ils vont tenter.  Ce sera sûrement un moment-clef dans le quinquennat. Car voyez-vous, c’est dans des périodes comme celle-là qu’on voit si un pouvoir est capable de tenir une ligne (même en l’infléchissant, même en l’adaptant au contexte politique du moment). On voit s’il tient ou s’il se met, un peu en perdition, à naviguer en zig-zags, à faire de la tactique plutôt que de la stratégie, à perdre le sens de sa politique. C’est ça qui se joue ces jours-ci.