3:08
  • Copié

Le destin de l'Europe se joue une nouvelle fois jeudi, alors que le Conseil européen se réunira pour évoquer le traitement de la crise économique, causée par l'épidémie de coronavirus. Pour Nicolas Beytout, l'union entre les pays s'effrite, à l'image du couple franco-allemand, qui ne traverse pas la pandémie de la même façon. 

Le Conseil européen se réunira jeudi (en visio-conférence, bien sûr). Et ce sera un nouveau rendez-vous crucial pour l’Europe. 

Oui, pour sa cohésion, son unité, deux notions clefs pendant cette période de crise du coronavirus. On l’a vu en matière sanitaire (et la bataille entre pays pour les masques n’a pas laissé que de bons souvenirs). Et ça sera encore plus important en ce qui concerne le traitement de la crise économique.

Pour le moment, les euro-optimistes applaudissent au premier plan d’urgence de 500 milliards d’euros. Quant aux eurosceptiques, ils brocardent la lourdeur de la machinerie communautaire, par exemple sur une mise en commun des dettes entre pays. Bon c’est assez classique, me direz-vous. Ce qui l’est moins, c’est que l’esprit d’union est en train de s’abîmer, ce qui pourrait attaquer le fondement même de l’Europe, si les dirigeants n’y prennent pas garde.

L’esprit d’union ? Qu’est-ce que vous entendez par là ?

C’est tout ce qui relève, non pas des questions budgétaires, ou réglementaires, ou des normes, mais de la compréhension mutuelle entre pays. C’est ce qui nous lie fondamentalement. Lorsque l’Italie reproche au reste de l’Europe de l’avoir abandonnée au plus fort de la crise, lorsque des pays détournent des cargaisons de matériel médical, c’est l’esprit de l’union qui est attaqué. Et c’est délétère.

Dans toutes les crises de l’Europe, on surveille le couple franco-allemand. On dit toujours que la sortie dépend de lui, de sa bonne entente. Ce sera le cas aussi aujourd’hui ?

Oui, ce sera le cas. Mais non, la bonne entente ne règne pas. En fait, le gouvernement français est à la fois agacé et inquiet. Agacé par la comparaison entre les dégâts que provoque le coronavirus chez nous et la bonne performance des Allemands (symbolisée par un nombre de morts quatre fois moins élevé chez eux, alors qu’ils ont quinze millions d’habitants de plus que nous).

Agacé de voir que huit Français sur dix, chez nous, pensent que nos voisins allemands ont mieux géré la crise (autrement dit, que la France l’a moins bien gérée).

Et puis agacé, ou en tout cas un peu jaloux de voir qu’Angela Merkel, que tout le monde donnait pour finie politiquement il y a un mois, est désormais au top des sondages, avec un indice de confiance qui frise les 80% sur la gestion de la crise.

Oui, il doit y avoir de la jalousie. Mais vous disiez aussi qu’en France, on est inquiet ? 

Oui, inquiet de voir que l’Allemagne, et quelques pays d’Europe du Nord sortent déjà du déconfinement et se relancent. Et comme ce sont parmi les pays les plus riches, sur le plan budgétaire, et les mieux gérés, ils ont des moyens énormes à mettre dans les plans de relance. Emmanuel Macron dit même publiquement que si les aides de ces pays-là sont trop massives, s’ils dépensent trop d’argent pour se déconfiner, ce sera une entorse à la règle, à l’Europe.

Et il vise bien sûr l’Allemagne. J’entendais le Président de la République dire il y a quelques jours qu’on arrivait "à un moment de vérité qui consiste à savoir si l’Europe est un projet politique, ou un projet de marché". Quand on sort les grands mots, comme ceux-là, c’est rarement le signe qu’on pressent un accord, avec du concret dedans.