Chaque matin, Nicolas Beytout analyse l'actualité politique et nous livre son opinion. Ce vendredi, il revient sur la tentative de diabolisation de l'extrême-droite, face à la montée de Marine Le Pen dans les sondages.
Emmanuel Macron était en déplacement, hier, en Charente-Maritime, pour parler environnement. Mais il a aussi beaucoup parlé d’autres sujets.
Oui, de 2 sujets en particulier. L’un qui lui a été imposé : à peine était-il descendu de voiture pour son premier contact avec des habitants qu’un opposant lui a crié : "McKinsey, Macron démission". Le braillard a été prestement évacué par les forces de l’ordre, mais Emmanuel Macron (qui a l’ouïe fine, lui au moins) ne peut pas ne pas avoir entendu. D’ailleurs la scène (en plus calme) s’est répétée dans la journée, et le sujet est revenu sur la table, de sorte que, si le candidat-Président pensait jusqu’à présent que le dossier McKinsey n’était pas dans la conversation des gens (comme le soutient son entourage), alors le voilà informé du risque politique que charrie ce dossier. Aucun doute, il devra le traîner jusqu’à l’élection.
Vous disiez qu’il y avait 2 sujets ?
Oui, le deuxième, c’est une histoire de tandem ?
De tandem ?
Exactement. C’est l’expression qu’emploie désormais Emmanuel Macron pour parler de sa principale adversaire, Marine Le Pen. La candidate du Rassemblement national (on l’a déjà évoqué ici) monte dans les sondages, au fur et à mesure que le candidat-Président, lui au contraire, baisse. Rien que de très normal : il vient de dévoiler son programme (avec quelques propositions un peu urticantes), et puis l’effet drapeau, qui le protégeait depuis le déclenchement de la guerre d’Ukraine, commence doucement à s’estomper.
Rien d’anormal, donc, rien d’inquiétant non plus pour le Président sortant. En tout cas pour ce qui concerne le premier tour. Car au second tour, c’est une autre histoire. Dans tous les sondages, le rapport de forces entre les deux finalistes les plus probables (Macron-Le Pen) se resserre rapidement. Emmanuel Macron ressort systématiquement en tête, mais il rassemble au mieux 55% des voix. Et certaines études ne lui accordent plus que 2,5 points d’avance, une marge dangereusement faible. Ce qui est frappant, dans cette configuration, c’est de voir à quel point un duel Macron-Le Pen au second tour serait différent de ce qu’il était en 2017.
Cette fois, la patronne du Rassemblement national aura une réserve de voix : elle pourra rassembler sur son nom l’essentiel du vote Zemmour, celui de Dupont-Aignan, plus une partie de la droite LR (cette fois-ci en partie décomplexée), plus les voix de tous ceux qui ont fini par éprouver de la détestation pour Emmanuel Macron. Un vieux briscard de la politique, un des meilleurs connaisseurs français du terrain électoral, me disait récemment qu’il était frappé de voir à quel point ce sentiment brutal était répandu.
Bon, mais que vient faire un tandem dans cette histoire ?
Celui dont parle le candidat-Président, c’est le tandem Le Pen-Zemmour, et il a une fonction très précise : rediaboliser sa principale adversaire, Marine Le Pen, montrer qu’ils sont, avec Zemmour, tous les deux les porteurs du même projet d’extrême-droite. Eric Zemmour a une image majoritairement très négative dans l’opinion publique. Dire en substance, Le Pen, c’est Zemmour, c’est essayer de jeter la même opprobre sur celle qui a réussi depuis des années (et plus encore dans sa campagne électorale) à adoucir son image. Emmanuel Macron y va en direct : "J’ai moins entendu dire qu’elle est d’extrême-droite", souligne le Président, qui ajoute : "Les gens ont détourné le regard, ils disent 'c’est plus sympathique', ils ont banalisé le Front national " (le chef de l’Etat utilise l’ancien nom du RN pour bien montrer qu’il s’est juste déguisé avec un nouveau sigle).
En quelques phrases, Emmanuel Macron vient d’acter plusieurs changements de stratégie : 1) le candidat a décidé de mettre entre parenthèses ses réflexes de Président pour se plonger dans la petite politique, sans trop de complexe ; 2) jusqu’à présent il divisait le paysage politique en 2 camps, les progressistes et les nationalistes, là il parle clair, son adversaire c’est l’extrême droite. Et puis 3) La menace de Marine Le Pen est là, il veut mobiliser, il évoque même une résurgence du "front républicain", et pour cela il va la diaboliser. La fin de campagne, c’est une certitude, va être dure.