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Ce dimanche, Alain Cirou s'intéresse à la plus grande construction réalisée à la surface de la Terre par un autre être vivant que l'Homme.

C’est d’une découverte scientifique incroyable dont vous voulez nous parler aujourd’hui : celle de la plus grande construction réalisée à la surface de la Terre par un autre être vivant que l’Homme ! De quoi s’agit-il ?

De termites ! D’un insecte qui mesure environ un centimètre de long – pour être très précis le nom scientifique de cette espèce c’est Syntermes Dirus ! – et dont on vient de découvrir qu’il a construit, au nord-est du Brésil, un immense réseau de termitières de 230.000 kilomètres carrés ! C’est la superficie de la Grande-Bretagne ! 2.000 fois la surface de Paris. La plus grande structure jamais construite par une seule espèce d’insecte !

Comment sait-on cela ? Comment l’a-t-on découvert ?

Ces termitières sont des structures en terre. Ce sont des monticules qui mesurent environ 2,5 mètres de hauteur et 9 mètres de diamètre et qui étaient connues dans cette région semi-aride, épineuse et peu propice à l’agriculture. Et c’est quand on a commencé a défricher certaines terres pour le pâturage que des scientifiques ont été intrigués. Ils ont alors fait appel à des photos satellites et en regardant sur Google Earth, ils ont remarqué ce réseau de plus de 200 millions de monticules coniques reliés par des tunnels.

A quoi sert ce réseau souterrain et sait-on comment il s’est constitué ?

On sait qu’il est extrêmement ancien. Des échantillons qui ont été prélevés au centre d’une dizaine de monticules montrent que les premiers ont été construits il y a 3800 ans et que les plus récents ont 6 à 7 siècles d’existence. Donc c’est un vieux réseau, avec des insectes qui ont remué beaucoup, beaucoup de terre – on l’estime à 10 kilomètres cubes, c’est-à-dire l’équivalent de 4.000 fois le volume de la pyramide de Gizeh – et en analysant la dispersion spatiale de ces millions de monticules les biologistes qui avaient d’abord supposé une sorte de compétition entre termites ont conclu qu’il s’agissait plus vraisemblablement d’un processus d’auto-organisation, d’un réseau spontané.

L’enjeu, c’est l’accès à la nourriture. Dans ces forêts d’épineux les feuilles des arbres ne tombent qu’une fois par an et disparaissent très vite. Et c’est la seule source de nourriture des termites. Imaginez un supermarché qui n’ouvre ses portes qu’une fois l’an ! Il faut pouvoir y accéder très vite et stocker les provisions à proximité de la source. D’où ces monticules distants les uns des autres d’une vingtaine de mètres et reliés à ce vaste réseau de tunnels interconnectés à l’échelle d’un pays.

Que nous apprennent ces 200 millions de termitières interconnectées sur l’équivalent d’un territoire comme la Grande Bretagne sur la nature de leurs habitants ?

Ce sont ce qu’on appelle des insectes sociaux. Ils ne sont pas agressifs, ils ont une organisation sociale complexes, avec des reines et une hiérarchie un brin militaire, et quand ils sont répartis sur une aussi grande surface ils forment une "supercolonie" comme le font certaines fourmis, ou des colonies de manchots. Ce qui est intéressant pour les scientifiques c’est de comprendre comment ça marche ! Il n’y a pas d’empereur des termites. Il n’y a pas d’insecte qui, individuellement, ait conscience de cette organisation.

C’est ce qu’on appelle une "propriété émergente" dans l’organisation du vivant. Elle est efficace, rationnelle, elle minimise la dépense d’énergie pour l’accès à la nourriture et elle récompense l’ensemble des individus. Il n’y a pas de riches et pas de pauvres ; elle est simplement efficace ! Et c’est pour ça qu’elle intéresse – hors des entomologistes – les spécialistes de l’intelligence artificielle et des réseaux de communications. On l’a déjà vu avec les champignons et les arbres, la nature a inventé l’équivalent du web, d’internet, bien avant les humains.

Que va-t-il advenir de cette création dantesque maintenant qu’elle a été découverte ?

Elle est en danger ! Ce sont des zones dans lesquelles la déforestation est en cours et on ne pourra pas l’inscrire au patrimoine mondial du termite. Il faut souhaiter qu’on ait le temps de l’étudier. On ne sait pas comment chaque termitière est structurée et pourquoi on n’y pas trouve de chambre royale. On sait aussi que ce n’est QUE la partie émergée du réseau de nids ; qu’il est sans aucune doute, beaucoup plus complexe que cette seule et formidable architecture. Bref, on a, comme d’habitude, beaucoup à apprendre de ces vies qui nous entourent.