L’Europe et la Turquie ont donc trouvé un accord hier à Bruxelles concernant le problème des migrants.
L’Europe et la Turquie ont donc trouvé un accord hier à Bruxelles. 3 milliards d’euros sont accordés à la Turquie pour l’aider à accueillir les 2,2 millions de réfugiés syriens qui sont sur son territoire. Et en échange de l’engagement d’Ankara à endiguer le flot des migrants vers l’Europe, les 28 ont aussi accepté de relancer le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union. Est-ce qu’on peut vraiment parler d’une journée historique, comme l’a fait hier le premier ministre turc ?
Sans vouloir jouer les Cassandre, la seule chose d’historique qu’on retiendra de ce sommet, c’est son record de brièveté, puisqu’il n’a pas fallu plus de trois heures pour que les 28 s’entendent avec la Turquie. Alors que chacun sait à quel point la relation est devenue chaotique, conflictuelle et souvent même douloureuse. Et cette contradiction se reflète parfaitement dans cet accord qui tient en 3 petites pages de conclusions générales, sans calendrier précis. C'est-à-dire un accord qui reste assez flou, tant sur ses modalités que sur les résultats réels qu’on peut en attendre. Et il suffisait de comparer l’enthousiasme sans doute un peu forcé du premier ministre Davutoglu avec la prudence et les nombreux bémols mis ici ou là par ses partenaires, pour comprendre que mieux vaut ne pas trop se bercer d’illusion...
Et comment s’explique cette différence ?
Parce que ces derniers temps, l’Europe et la Turquie sont un peu aux antipodes. Affaiblie par ses divisions, déstabilisée par l’afflux des réfugiés, inquiète des risques terroristes, l’Europe n’a jamais eu autant besoin de la Turquie qui est la principale porte de sortie des migrants, à commencer par les Syriens. Mais jamais non plus, la Turquie ne s’est montrée aussi ambiguë et aussi imprévisible. Que ce soit sur le dossier des réfugiés, qu’elle semble parfois vouloir manier comme une arme d’un chantage contre l’Europe. Que ce soit sur la lutte contre l’Etat islamique qu’elle place toujours bien après la question kurde dans l’ordre de ses priorités, même si elle en est aussi une des cibles. Ou sur le règlement du conflit syrien, comme la montré la semaine dernière la destruction de l’avion russe, qui complique sérieusement la donne d’une coalition élargie. Et c’est bien sur la même chose au plan intérieur sur le respect des droits de l’homme et de la liberté d’expression. L’assassinat d’un avocat kurde de Diyarbakir et surtout l’emprisonnement de deux célèbres journalistes turcs viennent nous rappeler que la Turquie du président Erdogan se distancie de plus en plus nettement des valeurs européennes. C’est pour toutes ces raisons qu’en déployant le tapis rouge hier à la Turquie, l’Europe a donné l’impression de se retrouver, non pas à Bruxelles comme d’habitude, mais plutôt à Canossa…
A quoi correspond concrètement cette aide de 3 milliards d’euros ?
Il ne s’agit pas d’une aide directe à la Turquie mais d’un fond destiné à des projets d’aide aux réfugiés, des projets qui seront soumis à la commission européenne. Ca concerne la scolarisation des enfants par exemple, ou des mesures contre le marché noir et pour faciliter l’accès au travail, puisque les réfugiés syriens en Turquie n’y ont pas accès. Mais il reste encore à préciser comment le financement de cette enveloppe de 3 milliards sera réparti entre Européens. Ce qui promet des discussions assez serrées…
Est-ce qu’on peut espérer que la Turquie va tenir ses promesses ?
Là, c’est peut-être l’un des points le plus précis de l’accord. A la demande d’Ankara, l’Europe accepte d’assouplir l’obtention des visas pour les citoyens turcs, à partir de l’année prochaine. Mais à condition que d’ici là, la Turquie surveille mieux ses frontières, et qu’elle lutte davantage contre les réseaux de passeurs. Il faudra ensuite juger sur pièces s’il y a effectivement des progrès…
Le processus d’adhésion de la Turquie à l’Europe est-il vraiment relancé avec cet accord ?
Formellement oui, mais sur le fond, on en est très loin. L’Europe accepte de rouvrir des négociations sur le chapitre politique, économique et monétaire qui vont sans doute s’éterniser, mais pas sur la justice ou sur les libertés publiques. Officiellement, c’est parce que les Chypriotes et la Grèce refusent, tant que la question de l’occupation du nord de Chypre par la Turquie ne sera pas réglée. En réalité, c’est parce qu’en Europe, plus personne ne veut ou ne croit sérieusement à une adhésion à terme de la Turquie. Et contrairement à ses affirmations, rien n’indique non plus que le pouvoir turc la souhaite vraiment…
Et si personne n’y croit, comment s’explique l’optimisme affiché hier par la Turquie ?
C’est avant tout de la communication. La Turquie est de plus en plus isolée au niveau international, et elle veut montrer qu’on l’écoute et qu’elle a des partenaires. Le président Erdogan a beau avoir remporté largement la dernière élection. Il sait que son opinion est inquiète et veut la rassurer.